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Pierre Duterte
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Pierre Duterte Psychothérapie - Photographie
Pierre Duterte Psychothérapie - Photographie

Terres inhumaines, un médecin face à la torture, de Pierre Duterte

 

 

 

Contrairement à une idée reçue, la torture ne sert pas à faire parler mais au contraire à faire taire : d’abord la victime  puis l’entourage, la presse, l’opposition... Mais elle n’empêche pas d’écrire.

Le Docteur Duterte esquisse dans ce livre quelques portraits des milliers de victimes qu’il a rencontré, écouté et aidé depuis 1994. Il révèle la résistance, le courage, l’humanité de ces hommes, femmes et enfants qui ont eu à traverser le pire. Pierre Duterte nous offre le témoignage bouleversant d’un médecin humaniste qui lutte avec détermination et un sens aigu de la Justice aux côtés des victimes, trop souvent oubliées et condamnées au silence par des régimes dictatoriaux ou des démocraties qui se renient. Il aide ces hommes et ces femmes à guérir jour après jour de leurs blessures visibles et invisibles.

Une leçon de courage pour tous.

 

 

Pierre Duterte, médecin, psychothérapeute et thérapeute familial est né à Tourcoing en 1953. En 1994 il s’engage comme médecin bénévole, puis en 1995 devient salarié et enfin médecin directeur d’un centre de soins pour victimes de torture. En 2001 il co-fonde l’association Parcours de Jeunes, puis ouvre en 2002 le centre de soins Parcours d’Exil. En 1994 il est nommé Généraliste d’Or pour son activité professionnelle et ses engagements.

 

 

Le krach du sperme

et autres menaces

 

 

 

 

Depuis les années 1990, un nombre de scientifiques sans cesse croissant enquêtent sur des anomalies médicales de plus en plus alarmantes. La première est une chute spectaculaire du nombre de spermatozoïdes dans les populations occidentales : plus de 50% en vingt ans. La deuxième est un accroissement de 400% des cancers du testicule chez les jeunes. La troisième, une augmentation vertigineuse des obésités, variant selon les régions (un tiers de la population en France). La quatrième un accroissement de 1% par an des cancers de l’enfant. La cinquième, une augmentation de 373% en vingt ans des cas d’autisme et de troubles mentaux tels que l’hyperactivité.

Et il y en a d’autres.

Des centaines d’études ont confirmé et précisé les soupçons des scientifiques au cours des années : les causes de ces pathologies sont les plastiques. Du biberon au supermarché, des parfums aux produits cosmétiques, des bouteilles de liquides alimentaires aux revêtements de sols, nous en absorbons sans cesse. Ils sont partout, dans l’air, dans l’eau le sol. Leur nocivité procède de ce qu’ils contiennent de fausses hormones féminines, perturbateurs endocriniens selon leur nom scientifique.

Alors a commencé une campagne de déni et même de désinformation.

Le Dr Pierre Duterte et Gerald Messadié dévoilent dans ces pages rigoureusement documentées, des faits au moins aussi graves pour l’avenir des humains que le réchauffement de la planète. La situation a été publiquement dénoncée au Conseil de l’Europe, mystérieusement, l’opinion publique n’en est pas informée ou ne l’est que partiellement, comme dans l’  « affaire des biberons ».

Les auteurs n’appartiennent à aucun parti. L’un médecin, l’autre journaliste scientifique, ils sont de longue date rompus à la recherche de l’information scientifique de haut niveau et à son analyse. 

L’abstract de l’article les Enfants absents

 

 

Les réfugiés ont un point commun dans leur histoire : leur départ n’a pas été préparé, il s’est fait dans l’urgence de la survie, Le trajet migratoire s’est fait le plus souvent dans des conditions épouvantables d’insécurité, de mise en danger. Très souvent les familles  sont incomplètes du fait d’enfants laissés au pays, disparus en route, morts. L’absence de l’enfant est une douleur indescriptible et souvent indicible. Il s’instaure donc une nouvelle règle qui est le silence. Cette règle familiale s’applique aux parents, aux enfants arrivés dans le pays d’asile mais aussi aux enfants nés en exil. Parler des enfants absents met en danger.

Le thérapeute se retrouve souvent dans une position délicate devant "l’insupportabilité" de la situation. Parfois le traumatisme de la disparition accolée à la violence,   aux traumatismes vécus par les membres de la famille font que le thérapeute pourrait être tenté d’appliquer la règle. 

 

 

....la suite dans les Cahiers Critiques de Therapie familiale et de systémie

Paru aux Editions Universitaires Europeennes

Pierre DUTERTE

Le Poids Des Identites
Mémoire et traumatisme chez Aki Shimazaki

Abstract du Trajet migratoire paru chez EURORIENT

Le trajet migratoire imposé par l’exil paraît souvent simple : il y a eu torture, violation des Droits Humains, la victime quitte son pays et trouve asile dans un autre pays. Quoi de plus simple ? Le raconter aidera la victime à « se libérer ». C’est sans compter sur le pouvoir de la torture qui fait taire, c’est oublier que le trauma vient impacter le récit, c’est méconnaître les conditions d’accueil peu « apaisantes » faites le plus souvent aux victimes au terme de CE « voyage ».

 

The migratory journey may look simple: there was torture, violation of Human Rights, the victim left his country and found asylum in another one. What could be easier? To talk about this trip will help the victim to feel free. This is forgetting the power of torture that forbids the victims to talk about it, this is forgetting that trauma smashes the story; this is being unaware of the non peaceful accommodating conditions, offered most of the time to the victims, at the end of THIS trip.

Quand le stress post traumatique dure dure ... dure

 

Certains jours, il ne faut pas craindre de nommer les choses impossibles à décrire.

La parole soulève plus de terre que le fossoyeur ne le peut.

 

René Char « à la recherche de la base et du sommet ».

 

Les mots qui font peur

 

Depuis des années je vais répétant que la torture ne sert pas à faire parler, mais à faire taire. Quel que soit l'endroit où je peux tenir ces propos, cela semble toujours surprendre. De fait le mot torture fait taire, et pas seulement les victimes de cette barbarie... très vite le sujet de conversation change, très vite fusent des questions « hors ce sujet » brûlant et insupportable.

Au cours des deux missions que j'ai eu à effectuer en mai-juin, j'ai pu constater comme le mot torture n’est seul dans ce cas. Il y en a d'autres qui effraient, qui font que la pensée même s'arrête: Rwanda, Génocide, Khmers Rouges, Pol Pot etc. !

 

Au Cambodge en rencontrant les victimes de ce régime « fou », il m'a été possible de constater qu’après 30 ou 35 ans, le simple fait de prononcer le nom du Frère n°1 (dit Pol Pot, de son vrai nom Saloth Sar) entraînait chez certains une dissociation, chez les autres une quasi-sidération.

Le choix est, de fait, difficile, soit l’on accepte de penser et reviennent les images de ce régime de terreur qui a duré 3 ans 8 mois et quelques jours, les cris, les morts, etc., soit on ne pense plus, on laisse les mots qui nous désespèrent tellement qu’ils nous immobilisent, seuls, face à un obstacle que nous ne savons, ne pouvons, ne voulons pas franchir, pas regarder. On ne pense plus.

Nommer les choses c'est leur permettre d'exister et cela nous contraint à faire face, à réfléchir. Alors pour ne pas souffrir passons à autre chose.

Le mot Angkar est banalisé il a repris son sens premier « d’organisation », pourtant quand je le prononçais les patients se figeaient un instant. Angkar : L'Organisation. Mot qui hante toujours la mémoire des Cambodgiens qui ont survécu à l'enfer des Khmers rouges, un mot qui réveille tous les traumatismes enfouis. L'Angkar commande tout. Elle ne rend compte à personne. On ne sait pas qui est derrière l'Angkar. La moindre tentative de discuter un ordre de l'Angkar se solde par une élimination physique.

 

"Le Rwanda c'était bien?" …et sans attendre une quelconque réponse on passe vite à autre chose « et… tu vas prendre des vacances?".

 

Les mots ont d’effrayants pouvoirs. Ils sont les bâtisseurs hasardeux d’images, ils peuvent très vite nous submerger. Le silence ne livre pas nos secrets. Le secret, l’absence de parole permettent de garder cachée la face sombre. Les non-dits seraient-ils innocents ?

Quand Yves Llobregat, l’arthérapeute qui est venu avec moi monter le projet à Kigali, trouvait magnifique le vert des collines je ne pouvais m’empêcher de les voir rouges. Rouges du sang du génocide.

Et pourtant le Rwanda nous a montré une image à des années lumières de celle que je pouvais avoir construite depuis 17 ans. « Nous avons vécu l’enfer maintenant c’est le paradis chez nous », me fut-il expliqué plusieurs fois. Sans parler de paradis il

existe à l’évidence une particularité rwandaise.

Sans être spécialiste de sciences politiques, sans avoir rencontré de dirigeants du régime actuel, il m’a semblé que l’on était dans ce pays loin de l’image que l’on peut en avoir de France, de celle véhiculée par les médias. Je n’ai pas « senti » l’oppression des dictatures où j’ai pu travailler précédemment, j’ai plutôt eu l’impression d’un régime « fort » mais d’un pays qui se relève. Il m’est souvent venu à l’esprit l’image du Japon qui, anéanti par les deux cancers nucléaires qui lui furent imposés par les alliés occidentaux, ce même Japon qui 19 ans « seulement » après l’embrasement atomique impressionnait le monde avec des jeux olympiques et qui, symboliquement, faisait porter la flamme olympique par Yoshinori Sakaï, citoyen japonais né à Hiroshima le 6 août 1945, jour du premier feu nucléaire.

Repartir, se relever c’est vraiment l’impression que m’a donné ce pays « différent ». Sans comme le voulaient les Khmers rouges « redémarrer la civilisation en repartant de l’année zéro ! ».

Certains mots font peur, certaines lettres ont fait peur à des régimes tortionnaires et ce n'est sûrement pas par hasard que le régime des colonels grecs (pas si lointain que cela... (1967-1974) avait même interdit la lettre Z qui, en grec ancien veut dire "Il est vivant" et qui symbolisait l'assassinat du médecin et député Gregoris Lambrakis.

Publié dans Dynamiques Internationales

 

 

 

 

 

 

 

Témoignage sur le soin aux victimes de torture

Un centre parisien Parcours d’Exil

La torture fait taire, elle bloque la parole, elle n’entame pas la dignité des victimes mais celle des tortionnaires. Elle ne deshumanise pas les victimes mais les tortionnaires. Mais passer par cette effroyable machine barbare nécessite pour « s’en remettre » des soins.

Le Dr. Pierre Duterte présente ici son expérience du soin aux victimes de tortures et revient sur les pathologies dont elles souffrent 

 

 

Docteur Pierre Duterte

Médecin directeur du centre de santé Parcours d'Exil[1]

 

 

Toutes les personnes que nous rencontrons, que nous accompagnons, à un moment donné de leur trajet migratoire, ont des points communs, le premier : la nécessité de l’exil.

Aucune d’entre elles n’a choisi de quitter son pays pour demander l’asile. Victimes de la guerre, de la terreur, de la torture, ces hommes, ces femmes et ces enfants ont fui pour tenter de préserver leur vie. L’exil n’a pas été pour eux une alternative, mais une impérieuse nécessité vitale.

Autre point commun, ils partagent également un « profil » social commun dans leurs pays d’origine. Ces êtres humains ne viennent pas en France pour y chercher une meilleure situation économique ou sociale car les adultes avaient dans leur immense majorité un travail qui leur assurait un train de vie qu’ils ne retrouvent pas en France et que peu d’entre eux retrouveront, même si le statut de réfugié, et donc le droit au travail, leur est reconnu. À cause de la non-équivalence de la plupart des diplômes, il faudrait reprendre de longues études, ce qui est impossible lorsqu’il est impératif de trouver de quoi vivre et faire vivre sa famille, à plus forte raison quand on a 40 ans et qu'aux difficultés inhérentes à la condition de victime de torture s’ajoutent les discriminations du monde du travail qui s'appliquent à l’ensemble de la population (fondées sur le sexe, l’âge, l’origine). Il ne faut pas oublier non plus que le traumatisme laisse des séquelles qui rendent l’apprentissage et l’insertion professionnelle beaucoup plus difficiles. Tourner la page n’est pas si simple !

Des chiffres que j’ai relevés se dégagent les constations suivantes :

91.36% des nouveaux patients primo-arrivants au centre de soins Parcours d'Exil avaient un travail stable dans leur pays, d’ailleurs ne disent-ils pas presque tous : « Tout allait bien, on avait une bonne situation ». 6.98% étaient des enfants en bas âge et 2.79% seulement étaient des femmes au foyer[2]

Il est à noter que parmi les actifs, 20.95% suivaient des études qu’ils ont été contraints d'interrompre et que beaucoup ne pourront jamais reprendre.

Ces « exilés » ont un autre point commun : l’unicité, la singularité de leur récit, de l'histoire de leur trajet migratoire. Chaque homme, femme ou enfant qui a subi la torture réagit selon sa personnalité propre. L’intensité de son traumatisme, tout, comme sa capacité à se reconstruire, ne sont pas uniquement fonction de la virulence des actes de barbarie qui ont été perpétrés contre lui.

Il existe particulièrement un tronc commun de symptômes, regroupés dans le vocable de syndrome de stress post-traumatique[3], mais il n’existe à l’évidence pas un ou des cas-types, pas une « expérience migratoire » (terme pudique pour parler de la torture et de l’exil)  qui ressemble à celui de l’autre.

C’est pourquoi, au-delà des symptômes souvent observés, il n’est pas possible de dresser le profil standard d’un patient, parce qu'il existe en fait, autant de cas particuliers que d’individus. Une victime de torture est un être singulier.

 

Qui recevons-nous ?

645 victimes ont été prises en charge en 2010 ce qui représente une légère baisse du nombre de personnes accueillies. Cette baisse est due principalement à la restructuration importante du centre et à une disponibilité limitée de ma part ayant dû limiter mes heures supplémentaires et assurer beaucoup plus de prestations de formation et supervision des professionnels en extérieur. Par contre, le centre a accueilli 305 nouveaux patients sur l’année, chiffre en nette augmentation, en particulier grâce au recrutement du second Médecin généraliste, et à son implication importante dans le travail du centre de soins. La proportion du nombre d’anciens patients a sensiblement baissé pour atteindre un niveau de 53% (contre 66% en 2009). Malgré la présence d’un deuxième médecin à mi-temps en complément de mon temps plein, nous n’avons pu réduire le volume de demandes de rendez-vous que nous n’avons pu satisfaire, ni les délais entre deux rendez-vous médicaux. Les mineurs étant plus fragiles et nécessitant une prise en soins plus rapide, nous privilégions toujours leur accueil. Le centre a reçu cette année 83 mineurs dont 61 mineurs étrangers isolés, ce qui représente une proportion de 13% de la patientèle.

Le soutien apporté par Parcours d’exil aux patients est particulièrement visible quand ceux-ci reviennent nous donner de leurs nouvelles, parfois plusieurs années après et manifestent une joie intense à retrouver le ou les thérapeutes dont ils disent souvent que sans lui/eux, ils ne seraient pas là aujourd’hui. Si imposer le maintien d’un lien (postérieur à la thérapie) avec nos patients est impossible d’un point de vue éthique et thérapeutique, nous réfléchissons à une approche nous permettant de suivre l’évolution de nos patients au delà de la thérapie afin de permettre une évaluation de l’impact de l’intervention de Parcours d’Exil sur leur intégration future mais aussi afin de maintenir ce lien important tant pour l’association, car il nous rappelle la nécessité et l’utilité de notre travail, mais aussi pour eux, en ne créant pas, une fois de plus, un sentiment d’abandon.

« Je me pose toujours ces questions : pourquoi ma famille ? Pourquoi eux ? Pourquoi nous ?

J’ai dû fuir mon pays à cause des persécutions faites à l’ensemble de ma famille. Plusieurs membres de ma famille ont été assassinés par l’armée.

Mon arrivée en France a été marquée par des conditions difficiles : je suis arrivé dans un pays où je ne connaissais rien. J’étais à la fois soulagé d’avoir fui, mais également très inquiet par ce qui allait se passer.

Durant toutes les étapes de mon arrivée en France, que ce soit lors de ma détention à Roissy, le tribunal administratif de Roissy, les périodes où j’étais soit hébergé, soit sans domicile fixe, mes réussites, mes échecs, je gardais toujours l’image de ma famille.

Dans un pays où je ne connaissais rien, ni la langue, ni les procédures administratives, les choses allaient être laborieuses.

Entre mon dossier à l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides) et les rendez-vous à la préfecture pour renouveler mon titre de séjour, il s’agissait d’un combat quotidien. Parfois, les responsables administratifs me prenaient pour un « simple immigré », mais malgré ces difficultés, je suis plutôt content d’être ici, d’être en sécurité.

La question du logement est également une question difficile : ne pas avoir de toit, ne pas avoir un endroit pour dormir est une chose qui fait peur à n’importe quel être humain.

Même si j’ai passé plusieurs mois sans domicile fixe, j’ai eu la chance de trouver un hébergement social dans un hôtel grâce à une association et à un centre de santé pour victimes de torture.

Cependant, mon assistant social m’a proposé deux solutions, qui pour moi étaient deux problèmes : ou partir m’installer dans un centre à Toulouse ou quitter l’hôtel.

J’ai décidé de rester à Paris pour suivre mes soins avec le docteur qui me suivait.

J’ai été suivi par un médecin thérapeute et cela m’a beaucoup aidé durant cette période difficile de ma vie. Ses interventions et son soutien ont été remarquables, et grâce a lui et à son équipe médicale j’ai survécu à une période où je croyais être seul contre le monde entier.

J’ai obtenu le statut de réfugié et dès lors j’ai suivi des cours de français afin de mieux m’intégrer dans la société. Quelques jours après avoir terminé ma formation, j’ai trouvé du travail dans un cabinet d’avocat.

Ce statut de réfugié m’a permis d’avoir une certaine liberté et de pouvoir continuer ma vie.

J’avais 21 ans, j’en ai 29 aujourd’hui (…) » ( USA, juillet 2007).

Qu’est-ce qui est dit dans ce « récit » ? Ce qui est décrit, est-ce bien ce que nous nous attendons à lire de l’histoire d’un exil qui mène de la Sierra Leone aux USA, avec une longue « escale » en France ?

Qu’est-ce qui est dit des traumatismes ? De la sur-victimisation qui ponctue le trajet migratoire d’un point jusqu’à un autre, vers cet autre point, inconnu, variable, instable après une route improbable ?

Certains épisodes pour nous « anodins » sont détaillés : le choix d’aller en province ou le refus… Certains épisodes majeurs (de notre point de vue) sont tus, notamment l’itinéraire qui a conduit en France ou les raisons mêmes qui ont amené à faire ce trajet.

Pourquoi ? Parce que je pense qu’ils relèvent de l’indicible, qu’ils ont à voir avec l’effraction de l’intime, de cette enveloppe que la thérapie essaie de réparer, de restaurer.

Un autre patient expliquait : « Si l’oubli  est indispensable pour reprendre le cours de la vie, il se dissimule dans les remous de la censure interne […] J’ai parfois envie de dire à mes interlocuteurs : comment, après tant de souffrances, exigeriez-vous de moi la cohérence d’antan ? J’ai horreur de raconter. Ne me demandez donc pas de recréer avec des mots ce que j’ai subi des jours, des semaines et des années durant. […] Si l'on me demande de raconter, je vais sélectionner les événements les moins douloureux, pour ne pas saigner de l’intérieur. »

En 2010, nous avons continué à recevoir de très nombreux patients guinéens. Si les tortures restent d'une rare sauvagerie et particulièrement marquées par des tortures des organes génitaux et des humiliations effroyables il a été noté, avec la mort du président Lansana Conté un changement majeur par la diminution tout à fait significative des tortures par des tortionnaires femmes.

Une autre caractéristique de ce que nos patients guinéens nous ont rapportés l’an dernier fut l'horreur ressentie lors du massacre qui fut organisé dans le stade de Conakry par Daddis Camara, le « successeur » de Lansana Conté mort le 22 déembre 2008 après un quart de siècle de « règne ». Outre les viols, les mauvais traitements endurés par les patients reçus, patients qui furent également témoins de massacres, nous avons retrouvé chez les anciens patients originaires de ce pays, et suivis depuis plusieurs années, de très importantes reviviscences traumatiques suite au visionnage des nombreux témoignages photographiques et filmés qui furent proposés par les chaînes de télévision ou disponibles sur internet.

Dans tous les pays, il y a généralisation des tortures où le viol prend une part quasi systématique. Les coups, les entraves, les suspensions restent la règle et quasiment le préliminaire de toutes les abjections qui suivent. Les conditions carcérales sont également un facteur majeur de torture par l'humiliation et les séquelles mêmes physiques qu'elles laissent. Nombre de nos patients sont porteurs de cicatrices de surinfections laissant leur peau constellée de cicatrices.

Les séquelles constatées sur la libido et l'activité sexuelle sont maintenant très largement majoritaires chez les patients reçus en 2010. Il est de plus en plus évident que dans ce qu'il semble possible d'appeler un souci  « d'optimisation de leurs résultats » les tortionnaires ont de plus en plus recours à l'imposition de tortures pratiquées en présence d’autres victimes. Les séquelles traumatiques devenant majeures d'un point de vue psychologique, le « témoin » voyant l'identification à l'agresseur démultipliée du fait de ce rôle qui lui est imposé dans une pièce où il n'avait rien à faire. La culpabilité est alors ici majorée de façon impressionnante

Dans leur très grande majorité, les tortionnaires appartiennent soit aux forces de police soit aux forces armées. Les gardiens de prisons et de camps prennent aussi une part importante dans la cohorte des tortionnaires. Il est de nouveau difficile de connaître les noms des tortionnaires, même en Guinée où l'anonymat semble se réinstaller après une période d’impunité telle que les tortionnaires ne dissimulaient ni leur visage ni leur identité.

 

Quand tout est transgressé  : enfants soldats, enfants disparus. Des mineurs face à l’horreur absolue.

Que dire du sort des mineurs isolés étrangers, et en particulier des enfants soldats !

Lorsque l’on parle de mineurs isolés étrangers (MIE), on parle de victimes ! On ne peut pas être mineur ou même jeune majeur, être seul et sans difficulté psychique ! Sans parler des autres problèmes sociaux et administratifs qui viennent sans cesse polluer leur vie.

Une des caractéristiques des jeunes accueillis en France est de vivre le passage du jour des 18 ans souvent avec  terreur. Il vit ce qui devrait être un jour de joie, un jour d’entrée officielle dans l’age adulte, comme le jour où il va, une fois encore « être jeté », comme la répétition du drame cause de l’exil.

De plus, quel sens y a-t-il à devoir comprendre qu’un jour vous êtes mineur, le lendemain de vos 18 ans vous êtes majeur donc « beaucoup plus grand dans votre tête » ? Il me semble absurde de croire, ou même de feindre de croire qu’en termes psychologiques, il y aurait des caps aussi tranchés. La maturation traumatique ne touche pas tout le monde de la même façon. Même en reprenant l’image du fruit piqué par un oiseau, de Sandor Ferenczi[4], il faut constater que tous les fruits piqués ne changent pas (ne mûrissent pas à) à la même vitesse.

 

Être mineur isolé, c’est être mineur, sans sa famille (quelles que soient les nuances à apporter au terme «  famille » ) et à l’étranger par rapport à son pays d’origine. Toutes ces notions réunies font le lit d’un trajet migratoire singulier, peut-être pas systématiquement traumatique, mais toujours douloureux, et particulièrement tragique et insoutenable pour les patients que je rencontre.

Les intervenants qui ont en charge ces mineurs nous objectent parfois que tous ne sont pas isolés, qu’ils ont de la famille en France, qu’ils ont quelqu’un à qui ils téléphonent, qu’on se demande si tout cela n’est pas de la manipulation pour les faire prendre en charge par notre système de protection, etc. Oui, mais une famille qui, pour quelle raison que ce soit, de la meilleure (moins mauvaise) à la pire, vous laisse, vous débrouiller tout seul dans le système de « protection de l’Enfance », n’est-ce pas une famille « traumatisante » ? C’est, à minima, une famille qui fait défaut au moment présent.

Parfois le « faire défaut » peut être lié à différentes causes de toutes sortes de nature : la guerre, qui a fait que les parents sont morts ou ont disparu ; le défaut de fonctionnement de la famille qui a fait que celle-ci n’a pas vu, à un moment donné, d’inconvénient à ce qu’un enfant quitte le pays, seul, ou avec quelqu’un plus ou moins de confiance ; la disparition de membres de la famille, ou, comme pour ce jeune Sri Lankais reçu il y a quelques années, les deux. Ce jeune homme avait vu une partie de sa nombreuse famille être tuée par la guérilla et tout le reste (deux enfants exceptés, dont lui) par le tsunami en 2004.

J’entends souvent parler de ces « situations » comme d'une espèce de fatalité liée à un état socio-économique, mais si tous les parents de tous les pays où l’on ne mange pas à sa faim, où le travail n’est pas assez rémunérateur, envoyaient leurs enfants à l’étranger, cela se saurait... Par définition, ce sont des situations qui poussent à se questionner sur la nature de cette famille et sur le vécu de l’enfant dans cette famille-, la globalisation n’étant pas de mise ici.

Et puis, le fait qu’ils soient étrangers n’implique pas n’importe quel éloignement de la famille.

Il est donc possible, pour moi indispensable, d'estimer qu’est systématiquement traumatique le trajet migratoire qui amène un jeune dans un pays distant du sien, pays dont il ne connaît parfois même pas l’existence avant d’y poser le pied, et dans quelles conditions. Le fait d’être mineur ou très jeune majeur met ces jeunes gens dans une position de vulnérabilité qui les expose à d'innombrables risques et les installe dans une situation où ils ne peuvent en aucun cas être « tranquilles », obligés qu’ils sont de veiller sans cesse à se protéger, à se méfier de tout, à assumer des responsabilités, à ne jamais pouvoir « souffler ».

Outre toutes les situations de maltraitance qui se traduisent par la fuite de l’enfant ou par le projet de se servir de l’enfant comme d’une tirelire parce que l’on pense qu’il pourra procurer des revenus une fois à l’étranger, il y a aussi les sévices et les tortures endurés par le père, la mère, ou les deux, par les mineurs, bref, toutes ces horreurs qui hantent le mineur isolé en France. La place de l'enfant est constamment foulée aux pieds dans le monde moderne, sur fond de discours solennels sur la fin de l'esclavage, de respect des droits de l'enfant, d'égalité des chances, d'éducation pour tous, de démocratisation par Internet et j'en passe. J'ai croisé beaucoup d'enfants qui avaient souffert au-delà de tout d'avoir été mis à une place impensable, parfaitement inimaginable : celle de soldats.

Ce drame s'est s'imposé à moi, il y a près de 15 ans quand sont arrivés les enfants de Sierra Léone. Ils avaient, certes, vécu le drame d'avoir été enrôlés, utilisés, mais, pour tous ceux que nous avons reçus, ils avaient vécu l'expérience « initiatique » d'être confrontés à la violence dans ce qu'elle doit avoir de plus absolu. Contraints qu'ils avaient été, sous menace de mort d’assister, qui au viol de sa mère, de ses soeurs, qui à l’amputation sauvage de bras, de jambes de frères, sœurs ou voisins, au massacre de toute la famille et j'en passe. Un des jeunes patients, parmi les plus éprouvés, avait été contraint de jouer au football avec la tête tranchée de son père. Sachant combien les mots peuvent faire mal je n’irai pas plus loin dans le « descriptif ». Pareils « spectacles »  transforment ces adolescents en témoins impuissants. Toute réaction, aussi dérisoire soit-elle, les mettrait immédiatement en danger de mort, l'inimaginable colère qu'ils emmagasinent fait le lit de la violence et de l'identification à l'agresseur.

Comment imaginer qu'il existe aujourd'hui encore des adultes capables de donner cet « exemple », capables de mettre des kalachnikovs dans des mains d'enfants en leur faisant croire qu’un gri-gri, une piqûre ou une cigarette magique les rendra invincibles ? Comment ces gamins peuvent-ils encore admettre que le rôle de l'adulte est de protéger et de donner les règles ? Certains avaient été au combat à 8 ans et avaient été nommés « sergent-chef » à 11 ans parce que les autres avaient 9 ans.

Les médias ont diffusé de nombreuses images d'enfants combattants ; ils n'ont montré le plus souvent que des regards durs, des mains trop petites pour les AK 47 ou les machettes, vignettes du pittoresque atroce dont l'époque est friande, mais il est frappant que l'on ne montre que des enfants noirs.

Comment ne pas penser aux enfants colombiens embrigadés par les FARC ? Mais aussi, pourquoi ne pas balayer devant nos portes, si près de chez nous ? Pas seulement en se rappelant ces images terribles d'un Hitler, qui, sortant un instant de son bunker et n'ayant quasiment plus d'armées, pinçait  « paternellement » la joue d’un gamin de Berlin en feu pour lui faire croire qu’il pourrait par son combat sauver le IIIe Reich de l’abîme. Mais aussi en pensant aux enfants utilisés en Irlande du Nord, il y a peu, ou en s'indignant devant l'envoi en Irak en 2003 de quinze mineurs britanniques, dont quatre filles, qui devaient combattre en dépit de la ratification par la Grande-Bretagne d'un protocole de l'ONU sur les enfants-soldats[5].

Que l'enfant soit anglais, irlandais, arabe, tchétchène ou africain, il est d'abord un enfant. Son monde a été détruit et son psychisme cabossé en même temps.

Pour moi le psychisme de l'enfant est un peu comme de la pâte à modeler : quand elle est « jeune » un coup l'écrase, certes, mais la plasticité qui la rend si malléable lui permet AUSSI toutes les reconstructions, ce qui n’est plus possible avec une pâte plus « âgée ».

Quand les enfants sont restés en route…     Les réfugiés ont un point commun dans leur histoire : leur départ n’a pas été préparé, il s’est fait dans l’urgence de la survie, Le trajet migratoire s’est fait le plus souvent dans des conditions épouvantables d’insécurité, de mise en danger. Très souvent les familles  sont incomplètes du fait d’enfants laissés au pays, disparus en route, morts. L’absence de l’enfant est une douleur indescriptible et souvent indicible. Il s’instaure donc une nouvelle règle qui est le silence. Cette règle familiale s’applique aux parents, aux enfants arrivés dans le pays d’asile mais aussi aux enfants nés en exil. Parler des enfants absents met en danger. Le thérapeute se retrouve souvent dans une position délicate devant "l’insupportabilité" de la situation. Parfois le traumatisme de la disparition accolée à la violence,   aux traumatismes vécus par les membres de la famille font que le thérapeute pourrait être tenté d’appliquer la règle.

Est-il possible d’attendre des nouvelles d’un ou de plusieurs enfants avalés par un mouvement de foule, absorbés dans l’embarquement d’un esquif, évaporés dans la bousculade d’un bus, ou que le passeur a refusé de prendre, qu’il a poussé à l’eau... Comment évoquer ce type de choix terrible imposé par la guerre, la fuite, la dictature ? Ces non-choix imposés par la nécessité vitale de partir en catastrophe !

Une fois expérimentée en France la très aléatoire sécurité, une fois le pied posé en terre «d’accueil» et la découverte de ses conditions de vie des plus précaires, une fois que reviennent avec intensité les séquelles traumatiques, les souvenirs qui hantent l’esprit et mangent la mémoire, comment accepter l’idée même de la vie des enfants restés au pays ? Comment accepter le moindre intolérable que peut représenter le fait qu’ils soient incapables d’aller à l’école sans personne en mesure d’assumer les frais de l’éducation. Comment imaginer que leur sécurité soit assurée, penser qu’ils seront protégés par la grand-mère malade à qui ils ont été confiés ? Est-il possible d’envisager que les voisins, les amis qui les ont «accueillis» vont bien en prendre soin, qu’ils ne seront pas esclavagisés ? Pire quand il a fallu les confier « à quelqu’un » en route au petit bonheur la malchance, comment être convaincu qu’ils ne seront pas maltraités, exploités.

Comment faire autrement sans nouvelles depuis des années, quand ils ne sont pas  joignables là où je les ai laissés, là-bas où le téléphone ne passe pas, si seulement j’avais un numéro à appeler. Quelle culpabilité quand, dans le métro, lors d’un épisode de dissociation post-traumatique un patient oublie un sac contenant la majeure partie ou la totalité de ses biens et entre autres, le numéro de téléphone qu’il était possible d’appeler !

Un autre drame : la disparition.

Arriver dans le pays de l’Autre c’est souvent une grande désillusion, la terre d’accueil se révèle presque toujours peu accueillante, voire rejetante. Ce qui était perçu comme l’endroit de la sécurité, de l’abondance parfois, se révèle souvent être un autre enfer.

Et comment supporter d’être en relative sécurité quand on a laissé au pays, un mari, une épouse, tout ou partie des enfants ? Quand on ne sait où ils ont fini par échouer une fois qu’on les a perdus dans la fuite. Commence alors cette interminable attente d’un courrier, d’un coup de fil, de nouvelles apportées par un compatriote arrivant du pays. Certains patients m’ont expliqué qu'ils vont se poster devant la sortie de la douane à Roissy-Charles De Gaulle quand des avions en provenance de leur pays d’origine atterrissent pour essayer de croiser une personne connue ou se permettre de demander aux passagers débarquant si … par hasard. La disparition mérite, au vu de ses conséquences, une place tout à fait particulière dans l’étude de l’exil forcé. Elle en est le fantôme omniprésent. L’insoutenable compagnon constructeur d’espoir, parfois, mais abattant à d’autres moments toute possibilité de reconstruction.

Pourquoi fait-on disparaître quelqu’un ? Pourquoi ne pas se limiter à l’arrêter, à l’emprisonner, voire à l’exécuter ? La réponse est probablement plus simple qu’il n’y paraît. Elle mine la société dans ce qu’elle a de plus fondamental en elle, les rites de deuil qui suivent la mort officielle. La disparition empêche tout travail de mémoire. Elle bloque la pensée. Elle rend fou. Ce n’est sûrement pas sans raison que, pendant la dictature argentine, les femmes, mères, épouses, sœurs, filles qui tournaient en rond sur la Place de Mai de Buenos-Aires, étaient surnommées les « Folles de Mai ». Elles n’avaient pas le droit de manifester, alors elles marchaient sur cette place, devant le bâtiment de la présidence. Elles contournaient l'interdiction des banderoles en portant toutes un fichu blanc sur la tête. Elles voulaient savoir où étaient leurs enfants enlevés et disparus, victimes du sinistre Plan Condor[6]. Elles ne pouvaient supporter de ne pas savoir.

Le drame spécifique de la disparition se noue très vite, la mise en scène comportant souvent un enlèvement. À l’instant où vous êtes arrêté commence votre mort sociale. Vous devenez non-existant. Les acteurs de cette mise en scène sont souvent des policiers en civil, banalisés. Vous n’apparaissez plus sur des registres, la justice ignore où vous pouvez être, les autorités aussi. Le silence tombe, le doute s’insinue. Si, au bout de plusieurs années, les survivants décident : « Maintenant c’est sûr, il (ou elle) ne reviendra plus ». Cela équivaut pour eux à décider de la mort du disparu, parent, compagne, mari. Après un terrible travail de recherche infructueux, d’enquêtes, de prises de risques, c’est en plus à vous qu’appartient l'impitoyable décision de ne plus accepter les éventualités de l’emprisonnement ou de la fuite. Vous voilà contraint de vous faire à l’idée que cette personne est morte. C’est à vous que revient l’idée de la tuer.

Décider qu’il ou elle est mort(e), c’est aussi se dire qu’il ou elle n’aura pas de sépulture, or quand il n’y a pas de sépulture (un peu comme pour les « ghosts-houses »[7] du Soudan où les « ghost-detainees[8] » américains) c'est toute la ville, le pays tout entier qui devient une sépulture possible. Car, pour commencer, le travail de deuil a besoin de preuves, de certitudes. Il faut que la mort ait une réalité pour que le symbolique puisse se manifester. Dans la disparition, il n’y a rien de tout cela. La fonction de groupe que revêt tout enterrement est aussi gommée. Le rôle fédérateur, donc dérangeant par essence pour le pouvoir, des condoléances, quelles formes qu’elles puissent prendre, ne peut avoir lieu. Même la machine médico-administrative ne peut fonctionner, le certificat médical de décès ne peut être délivré. La mort est volée à la mort. La disparition a bien pour but de tuer la mort, de priver la société de ses rites de deuil, en cela elle détruit le groupe social. La disparition s’applique également à l’ « éventuel » assassin puisque sans cadavre, il n’y a pas d’assassin, personne sur qui focaliser sa colère ; ici encore cela peut être tout le monde. Et alors que dans un deuil classique le temps estompe la douleur et la mémoire, éloignant progressivement le passé tandis que l’absence se structure dans le souvenir, ici comme dans la torture, le mutisme devient la règle, les symboles primordiaux sont tus, tués.

Pour beaucoup de nos patients, la disparition de leur conjoint, de leurs parents, de certains de leurs enfants leur inflige une douleur constante et lancinante. Ils ne savent pas s’ils les reverront un jour, s’ils sont morts ou pas, s’ils ont pu s’enfuir et survivre, au prix de quelles tribulations. Cela augmente leur culpabilité d’être vivants et en relative sécurité. Attendre, attendre, une attente qui s'additionne à beaucoup trop d'autres.

La disparition a tout de même « un avantage » que n'ont pas d'autres formes de torture : elle jouit légalement d’un privilège non négligeable qui rend possible la poursuite pénale des responsables quand ils peuvent être identifiés et même faire éventuellement traîner les dictateurs en justice, car la procédure reste active tant que le corps n’a pas été retrouvé. Ce n’est qu’à cette date-là que commence à courir le délai légal de prescription ; c’est, entre autres, ce qui a permis de rendre la vie moins douce à Augusto Pinochet. Bien maigre consolation….

Autre drame qui peut amener certains à repartir vers le pays agresseur malgré les risques : le décès d’un père, d’une mère ou d’un membre de la famille resté au pays et qui aurait donc eu « moins de chance ».

Ici aussi, comment faire le deuil sans les rituels, sans les cérémonies, les obligations ? comment ne pas voir se renforcer encore la culpabilité, l’idée enfoncée par le tortionnaire dans la tête de sa victime qu’elle est nulle, bonne a rien ?

 

Répartition des patients reçus au centre de soins en 2010

 

 Par sexe et âge

Sexe

Age

 

 

0-15

16-25

26-35

36-45

45-60

+60

Sous totaux par sexe

Homme

32

136

132

79

19

0

398

Femme

20

76

76

43

26

6

247

Sous totaux par âge

52

212

208

122

45

6

645

 

         Nombre total de victimes par âge et par sexe

645

 

       Par région

Région

Pays

Nombre de patient(e)s

Afrique

Algérie

2

Afrique

Angola

23

Afrique

Cameroun

6

Afrique

Congo

23

Afrique

Côte d'Ivoire

7

Afrique

Egypte

8

Afrique

Érythrée

8

Afrique

Éthiopie

7

Afrique

Guinée-Bissau

1

Afrique

Guinée

222

Afrique

Kenya

4

Afrique

Libéria

1

Afrique

Madagascar

1

Afrique

Mali

2

Afrique

Maroc

1

Afrique

Mauritanie

14

Afrique

Nigéria

22

Afrique

République démocratique du Congo

92

Afrique

Rwanda

12

Afrique

Sierra Leone

13

Afrique

Somalie

3

Afrique

Soudan

12

Afrique

Tchad

5

Afrique

Togo

1

Asie

Azerbaïdjan

5

Asie

Bangladesh

14

Asie

Cambodge

1

Asie

Iraq

4

Asie

Iran (République islamique d')

4

Asie

Kazakhstan

1

Asie

Mongolie

1

Asie

Pakistan

2

Asie

Autorité Palestine

6

Asie

Sri Lanka

7

Europe de l’Est

Fédération de Russie

6

Europe occidentale et autres pays

Turquie

1

Europe de l’Est

Arménie

7

Europe de l’Est

Géorgie

5

Europe de l’Est

Fédération de Russie

11

Europe de l’Est

Yougoslavie

10

Europe occidentale et autres pays

France

7

Europe occidentale et autres pays

États-Unis d'Amérique

1

Amérique Latine et les Caraïbes

Haïti

15

Asie

Afghanistan

15

Afrique

Niger

1

Afrique

Sénégal

2

Afrique

Seychelles

3

Afrique

Burkina Faso

1

Afrique

Burundi

6

Europe de l’Est

Belarus

2

Asie

Israël

1

Asie

Liban

1

Europe occidentale et autres pays

Danemark

1

Europe de l’Est

Serbie

11

Europe de l’Est

République de Moldova

1

Asie

Chine

1

Afrique

Zimbabwe

1

 

       Nombre total de victimes par région:

645

 

       Par statut migratoire

Statut Migratoire

Etat de la procédure

Nombre de patient(e)s

Demandeur d’asile

En cours

562

Réfugié

Accordé

37

Autre

En cours

46

 

       Nombre total de victimes par statut migratoire

645

     

 

La localisation géographique en France des nouveaux patients :

Le pourcentage de patients primo-demandeurs de soins résidant en province s’est accru dans la deuxième partie de l’année.

 

Paris

Ile de France

Province

 

42

35

48

125

33,60%

28,00%

38,40%

100,00%

 

La situation familiale : un bouleversement

L’éclatement de la structure familiale est un autre problème important auquel nos patients ont à faire face et qui est un résultat direct de l’exil et des conditions catastrophiques de leur départ.

De 98.4% de patients vivant en famille au pays, ils ne sont plus que 36.8% à vivre en famille une fois arrivés sur le sol français. Témoin ces chiffres édifiants relevés tout au long de l’année 2010. Chiffres qu’il faut pondérer car, depuis le développement au Centre de soins Parcours d'Exil de la thérapie familiale nous sommes amenés à rencontrer une proportion importante de famille qui nous sont adressées dans ce but précis.

 

Situation familiale au pays

 

Seul(e)s

1.6%

Couple sans enfant

2.4%

Couple avec enfant(s)

90.4%

Famille monoparentale

5.6%

 

En contrepartie, si 1.6% vivaient seuls dans leur pays, ils deviennent 63.2% à se retrouver en France isolés de leur famille et seuls.

 

Situation familiale à l'arrivée en France

 

Seul(e)s

63.2%

Couple sans enfant

2.4%

Couple avec enfant(s)

24.8%

Famille monoparentale

9.6%

 

Cette inversion complète des données est un autre dégât collatéral catastrophique de la torture et du trajet migratoire qu’elle impose.

 

Un autre problème majeur en France : l’hébergement

La situation du logement des patients reste tout aussi préoccupante que les années précédentes. La précarisation ou le recours à des situations palliatives peu satisfaisantes persiste. Il est ainsi indispensable de rappeler que le logement chez des compatriotes ne s’apparente pas à la fraternité, idée trop fréquemment acceptée pour se rassurer, mais relève souvent d'un esclavagisme moderne déguisé sous les oripeaux de l’assistance fraternelle.

.Parmi nos nouveaux patients :

. 32.8%, bénéficiaient d’une relative, mais temporaire, sécurité en étant logés dans des foyers d’hébergement (CADA[9], CPH[10]), en sachant que cet hébergement nécessite des mois d’attente pour y accéder. Que cet hébergement s’arrête dans le mois du rejet de la demande d’asile dans les 3 mois après l’obtention du statut. 

. 36.4% des patients que j’ai reçu étaient mineurs et hébergés en foyers pour mineurs ou a l’hôtel social...

. 27.58% d’entre eux) étaient soit tributaires des aléas de l’urgence sociale et du Samu social, soit, plus simplement, à la rue.

. Seuls 3.22% résidaient dans leur logement personnel.

 

 

Le trajet migratoire

Ce qui caractérise sûrement le mieux son trajet migratoire c’est l’absence de choix. Comment parler de choix quand les alternatives sont soit la clandestinité, soit la cellule et la torture, soit la mort ? Qu’ils soient commerçants, médecins, enseignants, procureurs, étudiants ou fonctionnaires, etc., ces patients jouissaient dans leur immense majorité d'un niveau de vie tout à fait satisfaisant, et qui, de toute façon, était très nettement supérieur à celui qui leur est imposé dans notre pays.

Comme me l'expliquait si bien une patiente: « Même pauvre au pays, vous êtes moins pauvre qu’ici…. Au pays, ça allait et ça n’aurait jamais été comme ça. Quand on n’a rien, il y a toujours un moyen ».

L’exil n’est malheureusement dans la grande majorité des cas que LA solution de la vie. Le moyen de survivre, d’échapper à la mort dans une geôle, dans un massacre, dans une salle de torture… ou de croupir des années en prison, et dans quelles conditions, la surpopulation carcérale dans ces pays étant telle qu’il faut choisir entre qui s’allonge et qui doit rester debout, sans parler des « sanitaires » ! La mort, la prison ou l’exil ?

Les victimes de torture subissent dans leurs pays, directement ou indirectement, des sévices d’une extrême violence, tant sur le plan psychologique que physique. Ce que nous proposons

D’abord une prise en soins gratuite en vue d’une réhabilitation médico-psychologique pour permettre aux victimes de se reconstruire mentalement et physiquement, et de se recréer un projet de vie dans de bonnes conditions. Pour réaliser ce projet, nous nous entourons de professionnels et de bénévoles compétents, intervenants à qui nous proposons une formation continue.  Au centre de santé Parcours d'Exil toute victime peut prétendre à un premier rendez-vous pour lequel aucun filtrage n'est opéré si ce n'est une explication de l'objet de notre association. Un simple appel pour convenir d'un entretien d'évaluation suffit donc.

Les patients sont orientés à 85% par des professionnels travaillant dans des structures de soutien ou d'accueil des demandeurs d'asile, des associations et des professionnels médicaux, psychologiques, juristes etc. ; ce qui limite aussi le risque d'une mauvaise orientation. À l’issue du premier rendez-vous, les patients qui auraient été mal orientés se verraient redirigés vers des structures adéquates. La reconnaissance de notre travail fait qu’en 2010 aucun patient n’a dû être aiguillé vers d’autres structures. Les 15% d’orientation autres le sont par d’anciens patients ou des demandes spontanées de patients qui ont « entendu parler » du centre de santé Parcours d'Exil.

La première consultation est effectuée par un médecin, ce qui permet de procéder à un bilan global de la santé du patient et d’entamer un processus d’alliance thérapeutique en ayant éliminé une partie des risques de maladie purement somatique[11], ou de mettre en place le ou les bilans nécessaires. La tuberculose par exemple en France, ne se retrouve pour ainsi dire plus que dans la population migrante, du fait de sa précarité.  Le corps devient pour le médecin-thérapeute un média privilégié pour aborder l’indicible, pour approcher le traumatisme et par là, entamer une réparation. Pouvoir prendre en compte la souffrance d’un corps, sans « faire mal » c’est déjà une expérience nouvelle pour une victime de l’horreur de la torture prise au sens large du terme. Une partie de l’humiliation qui est collée au corps depuis la torture, car celui-ci représente le lieu où se sont concentrées les souffrances, cette humiliation qui semble définitive aux victimes peut se voir atténuée par le côté médical des soins. Il est possible de parler, de montrer, de se faire aider sans devoir s’abaisser. Redevenir un « patient » comme avant peut être très apaisant et il est, par exemple, en début de thérapie, plus facile de parler de ses douleurs pelviennes ou de ses hémorroïdes que de parler du ou des viols que l’on a dû endurer. Le rôle du médecin, au-delà du soin, est aussi de permettre un « déconditionnement », d’autoriser un certain « désenseignement » de ce que le traumatisme a appris de façon brutale. Le soin médical, compris au sens large de la médecine, disons au sens princeps, est d’abord et avant tout le support pour retrouver le sentiment d’appartenir à l’humanité et l’expérimenter à nouveau.

De plus, la faculté de prescrire des traitements, qu’ils soient médicamenteux ou de kinésithérapie, permet de soulager rapidement certains symptômes et de faire vivre un apaisement qui ne semblait plus possible, ni même imaginable. La chimiothérapie médicamenteuse adaptée permet de proposer une atténuation des manifestations insupportables que sont les insomnies, les cauchemars, les céphalées, les douleurs articulaires, etc. Il devient alors possible de dégager une place pour le travail psychothérapeutique, un moment de respiration non entravée.

Ces soins médicaux peuvent dans un premier temps amener à proposer un bilan de santé, une orientation si nécessaire vers des structures spécialisées, ou au sein du centre de santé Parcours d'Exil.

Un suivi médico-psychothérapeutique est ensuite initié ayant pour but une levée de la symptomatologie liée aux conséquences du syndrome de stress post-traumatique. C’est à ce prix que peut s’envisager une possibilité de reconstruction d’un projet d’avenir autour de l’intégration en France. Ces soins n’étant pas que des soins au sens strict du terme mais également une prévention ou une résorption de violences (sociales ou intrafamiliales). La prévention de la reproduction de la violence sur un mode trans-générationel est un élément majeur de cette prévention.

Est-il possible de retrouver un statut social « décent », simplement une vie dite « normale » quand on était avant l’exil, certes, souvent sous le joug de la dictature mais vivant dans une maison, avec de la famille, des voisins, des amis, un « peuple » avec qui l’on partageait des valeurs, des idées, un art, des repères…  et que tout a été pulvérisé par un trajet migratoire chaotique comme nous venons d’en voir ? C’est un des enjeux de la thérapie.

Dans le cadre du centre de soins de Paris le centre de santé Parcours d'Exil propose, toujours gratuitement des psychothérapies individuelles, des thérapies familiales, des groupes de parole. Tous ces soins, sont, sauf demande expresse des patients, réalisés sans interprète. Comment ne pas se poser la question de la troisième personne en cas de thérapie individuelle, de la présence d’un tiers dans le cas des thérapies familiales? Ce troisième homme étant l’interprète.

. 17 ans de pratique m’ont amené à privilégier les consultations sans interprètes. Ce choix est basé sur plusieurs évidences :

. La traduction n’est pas indépendante du sujet qui traduit. Même un interprète bien formé se retrouve face à la déflagration induite par l’horreur de ce qu’il a à traduire, il se trouve face à cette obligation terrible, qui vient s’ajouter aux autres exigences : confidentialité, précision, exactitude, rigueur, exhaustivité, impartialité, compétence culturelle, etc.

. Dans le cadre du centre de soins où français, anglais, espagnol, portugais sont parlés par différents thérapeutes, ce qui permet déjà de communiquer avec une grande majorité des patients que nous recevons (85% d’africains qui parlent majoritairement en plus de leur langue, le français, l’anglais, ou le portugais), recruter des interprètes pour les autres langues se « traduit » souvent par la présence d’interprètes-réfugiés politiques, ayant un parcours migratoire complexe et souvent douloureux, avec lequel ils peuvent parfois avoir encore trop peu de distance. Dans ce cas, l’on peut craindre la résurgence de situations et de souffrances similaires déjà vécues. Une trop grande identification au patient migrant se traduisant alors par des attitudes de réaction ou de défense.

. Faire parfois partie du même groupe (ethnique, politique, social), d’une même « communauté », pose avec acuité le problème de la confidentialité et de la possibilité d’une parole libre pour le patient. Ne plus vouloir s’engager pour une « cause » peut être difficile à exprimer par l’intermédiaire d’un traducteur qui défend potentiellement cette « cause ». Nous ne voulons pas prendre le risque de voir ce que nous essayons de créer - un espace de liberté totalement au service du patient - se transformer en un lieu d’enfermement, où la parole serait « sous surveillance ».

. C’est parfois le même interprète qui accompagne le patient dans toutes ses démarches et dans tous ses rendez-vous et il peut lui être extrêmement compliqué de faire la part entre ces différents espaces qui ont des fonctionnements et des objectifs différents. La connaissance d’une partie de l’histoire du patient peut progressivement émousser la précision de la traduction et amener, sans que le thérapeute ne puisse le percevoir, l’interprète à « filtrer » ce qui peut lui sembler « moins important ».

. Quelle langue traduire ? Quelle variante ? Par exemple le peuhl de Mauritanie peut être aussi compliqué à comprendre pour un Guinéen que le Français d’un Canadien pour un Français de  France.

. Parfois, échanger dans une autre langue que la sienne permet au patient d’éviter l’usage d’une langue qui peut être associée à de lourds traumatismes et ainsi de prendre de la distance par rapport à des souvenirs lourdement chargés sur le plan émotionnel.

. Le travail clinique et thérapeutique n’est pas le même que celui d’un accompagnement social. Nous ne sommes pas dans la recherche et dans la collecte d’informations mais bien dans l’échange d’où émerge le soin.

      . Les efforts faits pour comprendre, l’inventivité déployée pour saisir ce que l’autre veut dire, l’utilisation de mime, de dessins, de poupées articulées ou de tout autre média viennent en plus prouver au patient, souvent sceptique et fermé, qu’on essaie de l'aider, qu’il n’est plus le seul à « faire des efforts » mais que nous sommes bien là dans une relation d’échange.

      . Il nous semble indispensable de croire en les compétences des patients. Ceci devient thérapeutique car trop souvent inhabituel. Nous avons acquis la conviction que beaucoup de nos patients parlent et comprennent notre langue bien mieux qu’ils le croient ou ne s’autorisent à le croire et donc, à la pratiquer. Nous constatons aussi que souvent nous devenons les seuls interlocuteurs avec lesquels ils se risquent à parler français, car nous faisons des efforts pour les comprendre. Cela évite certains raccourcis parfois étonnants, proposés par l’interprète.

      . Nous refusons systématiquement (en expliquant pourquoi bien évidemment) que des membres de la famille et en particulier les enfants qui apprennent vite notre langue (étant en principe très rapidement scolarisés), soient utilisés comme interprètes. Non seulement cela compromettrait plus encore la structure de la pyramide des générations, mais cela placerait enfants, membres de la famille, et amis au cœur de problèmes qui ne sont pas les leurs. Cela annulerait aussi le droit des patients à la vie privée. Nous, thérapeutes du centre de santé Parcours d'Exil, sommes là pour entendre ces récits et nous sommes formés pour cela : c’est notre travail ; les proches n'ont pas à endurer cette épreuve. 

Cette approche que nous proposons est une façon de faire que j’ai développée et qui fonctionne, elle n’est bien évidemment pas une règle absolue. Pour nous, travailler sans interprète, on l'aura deviné, est une richesse qui se paie par des efforts du thérapeute.

Il n'existe pas non plus, dans ce domaine, de pensée unique.

 

La thérapie familiale a pour objet principal de créer, en utilisant les principes de l’approche systémique[12], une construction d'agencements de la famille aux conséquences les plus heureuses possible afin de lui permettre un fonctionnement aussi sain et harmonieux que la situation permette. Pour autoriser cette harmonie, il est donc nécessaire de pouvoir désamorcer les oppositions, d’exprimer tous les non-dits résultants des difficultés passées ou présentes, de restaurer la confiance en soi de chacun des protagonistes, et plus particulièrement des parents, afin que ceux-ci puissent à nouveau assumer leurs responsabilités parentales. Le demandeur d’asile ou le réfugié porte souvent seul le statut de « victime » et les autres membres de la famille se taisent, même s’ils ont été eux-mêmes, comme c’est souvent le cas, également victimes de harcèlement, de sévices, voire de torture. Combien de parents ont raconté leur arrestation brutale, accompagnée de sévices, de viols contre l’épouse, avec l’assurance que les enfants « n’avaient rien vu », rien subi. Et puis au détour d’un entretien « seul à seul », parfois entre deux portes, on découvre que les enfants savaient, ont vu, entendu que l’épouse avait été persécutée pendant toute l’incarcération du mari.

Chacun se tait pour protéger l’autre, persuadé que sa souffrance n’est pas « à la hauteur » de celle du martyr reconnu. Comment ajouter sur ses épaules le fardeau de mes problèmes ? Comment lui dire que l’on est convaincu que son engagement est la cause de la catastrophe qui se joue, que c’est par sa faute que tout cela nous est arrivé ?

Décidément, loin de faire parler, la torture fait bien taire !

La réparation passe aussi par une réinscription dans un phénomène social et c’est pourquoi il m’a toujours semblé indispensable d’adjoindre à ce qui est « de la thérapie pure et dure » des activités thérapeutiques autres, qui sont parfois vécues comme plus ludiques. Je crois indispensable de sortir du cadre thérapeutique tel qu'il est fréquemment adopté en Occident, c'est-à-dire du questionnaire restrictif, préalable au traitement. "Quand ont commencé vos douleurs ? Dans quelles circonstances ? Quels remèdes avez-vous pris ?", tout autant du principe que la parole libère. En effet, ce protocole revêt immédiatement, pour la victime de tortures, un caractère répressif et policier qui exclut d'emblée la confiance.

L'art du thérapeute - et il est, à ma connaissance, peu de contextes où il mérite autant le nom d'art - est de maîtriser le paradoxe consistant à ouvrir le dialogue sans chercher à savoir. Dans un dédoublement parfois « miraculeux », il doit renoncer à sa position dominante de thérapeute pour n'être plus qu'auditeur, afin que la victime puisse exhumer son passé. Et que le récit de son histoire, fragment de l’Histoire avec un grand H, partie traumatique d’une vie, ne soit plus exposé, mais révélation.

Loin de moi l'idée de proposer une technique machiavélique pour arracher des confessions. Notre métier est exactement aux antipodes de ce qui ne serait alors qu'une nouvelle forme de torture, déguisée des oripeaux de la compassion et visant à intégrer la victime dans le système occidental salvateur.

Non. Les recommandations qu'on vient de lire ne sont qu'un ajout au serment d'Hippocrate, imposé par les temps modernes. « Primum non nocere ». Après vient le soin.

Depuis son origine, il y a 10 ans maintenant, le centre de santé Parcours d'Exil propose également des soins délocalisés en province. Le centre de santé Parcours d'Exil propose pour cela des séances d'art thérapie individuelles ou collectives. L'art thérapie qui se situe maintenant, dans notre réflexion sur ce qu’est le soin,  au cœur d’un espace thérapeutique particulier, renvoie à la notion de découverte. Entre pouvoir et vouloir. Une notion de découverte qui se situerait entre pouvoir faire et vouloir faire.         
le soin est basé sur les acquisitions techniques et les exercices propres à l'art théâtral : travail d'expression corporelle (expérimenter les nouveaux vécus corporels), travail vocal, travail sur la prise de parole, exploration de l'espace scénique et de la place de l'acteur, travail sur la position acteur-spectateur     

L’art thérapie est une pratique de soin avec médiation artistique. Elle pose la question de l’art dans le soin, de l’art comme transformation de la personne et de la thérapie comme art de création. L’art thérapeute cadre et accompagne la personne dans son mouvement créatif. La personne qui bénéficie de ces ateliers d’art thérapie joue avec ses possibles, avec ce qu’elle est et ce qu’elle ne veut pas être. Lorsqu’on aborde une population présentant des troubles divers, des déficits, des plaintes, des états confusionnels, la dramatherapie que nous proposons, peut intervenir comme relation d’aide, proposant un mode d’intervention autre où la personne en situation thérapeutique qui se vivait, ou, pouvait être vécu par les autres qu’en termes de sa pathologie devient sujet d’elle-même. À partir de là, l’art thérapeute ne propose pas de réponse à la personne en soin, mais, met en place des conditions, des modalités pour qu’un semblant de réponse puisse émerger.

Le travail de thérapie ne vise pas la production mais l’expérience.L’atelier est alors un lieu de découverte avec des critères dominants :

. La relation aux autres participants

. La relation à soi-même

. La relation à l’objet : théâtre, danse.

.L’idée de découverte renvoie aussi à l’idée de quelque chose qui se montre, se représente, donne à voir, révèle, dévoile.

 Ce type d’atelier donne la possibilité d’éprouver de nouveaux vécus corporels et d’assurer sa place au sein d’un groupe.

 

La kinésithérapie qui est proposée au centre de santé Parcours d'Exil est actuellement effectuée de façon bénévole, par une kinésithérapeute retraitée, ancienne salariée présente depuis l’origine du centre. Cette praticienne ayant travaillé dans le domaine très spécifique de la prise en compte des victimes de torture avec nous depuis 17 ans, a acquis une connaissance toute particulière des spécificités de ces soins. En effet, le corps étant le plus souvent, si ce n’est toujours, le média par lesquels le tortionnaire agit, il apparaît évident que ce corps devient un lieu difficile d’accès aux soins. Comme avec le médecin, le corps devient non un lieu de souffrance mais un lieu de réparation.

Dans le même but, nous proposons des séances de Qi Gong une fois par semaine, cours adaptés à la spécificité des patients reçus au centre.

Dans le cadre du centre de santé Parcours d'Exil j’anime deux groupes de paroles, un en direction des femmes excisées et victimes de mariages forcés, un autre co-animé par un ethnologue consacré aux « enfants absents ».

Nous proposons, de façon plus ponctuelle, un soutien social d’urgence. Pour ceux de nos patients qui sont dans une situation relevant de l’urgence, nous disposons d’un fonds social nous permettant de les soutenir de façon temporaire soit par le financement de nuits d’hôtels, soit par la distribution de tickets services permettant d’acheter de la nourriture ou des produits de premières nécessité, soit par l’achat de titre de transports pour qu’ils puissent se déplacer sans craintes des contrôles. S'il n'a pas été possible de trouver, dans les petits stocks de vêtements dont nous disposons, de vêtements appropriés, nous achetons avec les patients les éléments dont ils ont besoin : chaussures, pantalons, vêtements chauds). Aucun numéraire n'est donné à cette occasion.

Le Directeur du Développement du fait de sa formation juridique et de son expérience en matière de droit d'asile et de droit des étrangers permet en outre d'apporter au cas par cas un appui juridique à certains patients en matière de droit au séjour, de droit au logement et dans le cadre de certaines démarches administratives. Ce soutien reste néanmoins ponctuel.

 

Le groupe Insertion créé par l’association au tout début de son activité dans des locaux stables, accueille des patients qui bénéficient d’enseignements et d’activités variés. Il est destiné à être une autre facette de la prise en soins pour permettre une insertion réussie. Comme pouvait le faire Monsieur Jourdain, notre but est, outre l’acquisition de connaissances, de permettre à nos patients de se soigner « sans le savoir ». le but de ces enseignements est surtout thérapeutique.

L’entrée dans le groupe se fait sur proposition des médecins après consultation des différents intervenants qui ont à recevoir les patients concernés par ces activités.

Pour poursuivre le travail de reconstruction nous proposons aux patients que nous recevons les outils essentiels à leur insertion dans la société. Dans ce but, des cours de Français Langue Etrangère, de mathématiques, d’histoire et de civilisation, cours d’instruction civique, d’informatique sont offerts aux patients qui le souhaitent. Ces cours ont lieu tous les jours, selon les disponibilités des bénévoles et, outre un enseignement dans des matières précises, ont comme principale raison d’être leur influence thérapeutique sur nos patients en leur permettant de réacquérir des compétences en termes de relations à l’autre, de respect d’un horaire, d’entraide envers d’autres patients-élèves, etc. Certains patients peuvent bénéficier de cours individuels en particulier quand il faut apprendre à lire alors que l’on est adulte et que la honte d’être illettré empêche de se joindre à un groupe.

La « culture » est omniprésente, une évidence selon nous : musée des Arts Premiers, musée du Louvre, partenariat avec l’Espace Louis Vuitton, concert symphonique (partenariat avec l’orchestre de Paris), théâtre, visite du château de Versailles, au musée du cinéma, sur les bateaux-mouches, etc. Ces sorties permettent de redonner un sentiment d’estime de soi supérieur car ils sont accueillis dans des lieux que leur quotidien précaire leur interdit et ont ainsi accès à des œuvres (sonore ou visuelle) qui leur réaffirment leur propre valeur. Ces interventions « culturelles » ont une haute valeur thérapeutique, par exemple, le partenariat avec l’Orchestre de Paris permet annuellement à plus de 50 patients d’assister accompagnés par un intervenant, à des concerts. En effet outre les 50 places offertes par l’Orchestre de Paris, le centre de santé Parcours d'Exil et son président, violon solo de cet orchestre, ont à plusieurs reprises acheté des places pour répondre à la demande des patients.

Au-delà d’une simple découverte musicale, au-delà d’une approche d’une culture différente, au-delà du simple plaisir de pouvoir un court instant « se laisser un peu aller » il y a également l’importance d’avoir le droit, quand on a vécu le pire, d’avoir le droit au meilleur. Le temps d’une soirée, passer du squat au quartier du palais de l’Élysée, de l’Arc de Triomphe… Un des auditeurs « régulier » des concerts ne devait-il pas finalement trouver qu’à chaque fois qu’il venait à Pleyel il passait une soirée dans « son Château ».

Se retrouver souvent être un des quatre seuls « noirs » ou presque au milieu du public de la salle Pleyel est vécu par eux à la fois comme intimidant mais aussi comme très valorisant. Comme une reconnaissance de ce qu’ils sont : des êtres humains à part entière. Et cela est possible grâce à la musique. C’est aussi une leçon de vie où il est possible de voir jouer (travailler) ensemble sous la paix d’un chef qui dirige « à la baguette » 120 musiciens ensemble. C’est voir qu’il est possible d’unir dans une même harmonie des instruments à cordes, à vent, à percussion, des voix et tout cela au service du travail d’un compositeur. Parfois le bouleversement est si profond, la sérénité tellement au rendez-vous qu’il est possible de se détendre au point de s’endormir.

L’exil est le séjour hors d’un lieu à soi, c’est en soi une rupture, c’est un espace déplacé, un temps souvent suspendu. Ces patients qui continuent à vivre, à exister, qui doivent se battre au quotidien pour cela, qui se trouvent arrachés d’une terre connue pour se retrouver dans un ailleurs inconnu, peuvent trouver un instant, une heure ou deux, lors d’une visite dans un musée, lors d’une séance d’art thérapie, lors d’un concert même de façon fugace, un vague sentiment de mieux être, sans avoir à refaire le voyage vers le récit traumatique. Combien de fois n’ai-je entendu, au cours d’un concert des patients, en exil, dire  « quand je suis ici je voyage » ; certains revisitent leur pays : « Ça m’a rappelé quand c’était bien chez moi » !

Les  évènements de leur histoire continuent d’exister au plus profond d’eux-mêmes, mais l’art permet de les retravailler inconsciemment de façon positive. Il y avait du beau chez moi et il y en a ici. Quelle expérience nouvelle ! quel changement !

Le groupe Insertion est organisé autour de cours qui visent à aider les patients dans leur insertion à la société française : en plus des cours nous offrons la possibilité d’assister à des réunions collectives d'information sur le monde du travail et présentation de métiers par des professionnels en activité que ces patients soient statutaires et donc avec le droit de travailler, ou demandeurs d’asile et donc sans ce droit. Dans le cadre de ce projet est proposé un suivi individuel à des patients disposant d'une autorisation de travail appui dans la recherche d'emploi, aide à la rédaction de CV et lettres de motivation, préparation aux entretiens d'embauche, aide à la recherche de formations et financement de certaines formations en fonction du projet professionnel.

L’objectif est donc de créer un espace propice à l’échange, à la mise en commun de nouveaux acquis, d’éviter une mise en échec et de permettre aux patients, une fois la thérapie avancée et les séquelles psychiques levées, de faire une entrée « apaisée » dans un processus d’apprentissage classique. Il se crée au sein du groupe Insertion un équilibre entre la diversité des connaissances apportées par les enseignements et l’apprentissage de nouveaux moyens de « défense ». Moyens qui aideront les participants à faire face aux obstacles et défis qu'ils rencontrent et rencontreront au quotidien. Tous ces éléments (confiance en soi, capacité à se projeter dans l’avenir, dignité retrouvée, bonne santé physique et psychique) sont nécessaires, voire indispensables, pour qu’une fois, la situation administrative stabilisée, les patients puissent, ayant acquis les bases qui leur permettent de vivre en autonomie sur notre sol, s’investir pleinement dans un projet et ainsi trouver et assumer une position de citoyen.

 

En effet, contrairement à une idée entretenue par les tortionnaires de tous poils et remise au goût du jour dans la lutte contre le terrorisme, la torture ne fait pas parler, elle sert avant tout à faire taire.

Les pouvoirs qui en usent, ceux qui la réinstaurent, ont besoin de convaincre l’opinion que la torture était une nécessité politique : elle permettrait d’obtenir des renseignements et, comme le défendait encore il n’y a pas si longtemps le général Paul Aussaresses, elle terrorise les populations. Ce général a, lui,  « avoué » sans contrainte[13] :  « C'est efficace, la torture, la majorité des gens craquent et parlent. Ensuite, la plupart du temps, on les achevait. […] Est-ce que ça m'a posé des problèmes de conscience ? Je dois dire que non ».

Il est pas nécessaire, ici, de s’attarder sur les non-problèmes de conscience de M. Aussaresses, mais bien plutôt sur l’efficacité de ses théories : un des premiers patients que j’ai rencontré en 1994 m’a affirmé qu’il était prêt, sous la torture, à confesser avoir tué le Christ, Kemal Atatürk et J. F. Kennedy… Nombre de patients disent avoir signé n’importe quoi, même des aveux qu’ils savaient susceptibles de les conduire à une condamnation à mort au terme d’un procès truqué. Aveux qui ne viendraient qu’étayer un verdict joué d’avance et dont ils constitueraient la pièce maîtresse et, bien entendu, pipée. Et pourtant, jusque dans des séries télévisées américaines[14], la torture servirait à obtenir des informations. Or, les États-Unis, qui la légalisèrent en 2006, dans le cadre de leur lutte contre le terrorisme, sont particulièrement bien placés pour savoir que la CIA et le FBI ont obtenu une bonne part de leurs plus précieuses informations, sur les attentats du 11 septembre 2001 en particulier, de transfuges volontaires des organisations terroristes. Tant qu'à cultiver le terreau de l'infamie, il est moins inhumain de recourir à la corruption.

Quant au système de terreur que la torture vise à instaurer, il comporte une faille : pour l'établir, il faut en effet faire savoir aux populations que la torture existe ; pour cela, il faut donc libérer des torturés. La victime épargnée et relâchée devient alors involontairement messagère de l’horreur, publicité vivante de ce qui peut arriver si on manifeste, si on s’oppose, si on garde ses champs fertiles, si on n’est pas du parti au pouvoir… etc. Quand la victime rentre chez elle, « changée », méconnaissable, porteuse des séquelles physiques et psychologiques, elle fait peur à son entourage, à ses voisins, à tout un quartier. Le silence s'installe. La terreur peut régner.

Les tortionnaires ne peuvent imaginer que la torture discrédite aussi les autorités qui les dirigent. Comment, dans les années soixante, parler de démocratie en France alors que l’armée, comme l’affirme le Général Aussaresses qui était en 1957 coordinateur des services de renseignements militaires à Alger auprès du général Massu, utilisait la torture et que celle-ci "était tolérée, sinon recommandée" par le pouvoir politique ?

L’efficacité de la torture ne se situe pas dans les « aveux » arrachés, dans l’absurdité des « informations » obtenues, mais bien dans le discrédit qu’elle fait peser sur une nation. La torture pratiquée en Algérie a été et reste encore d’un « coût » symbolique exorbitant. Ruineux. La torture reste « collée » à l’évocation de la guerre d’Algérie. Il est clair qu’elle fait un travail de sape dans les structures même de l’État qui la tolère, l’encourage, l’utilise. Elle oblige à des mensonges officiels qui viennent recouvrir d’autres démentis, d’autres mensonges. Elle contraint à des mesures aux antipodes de la démocratie et de la liberté d’expression. Le livre témoignage d’Henri Alleg La question fut interdit lors de sa publication en 1958, ce qui eut pour effet, là aussi « contreproductif », d’en faire un best-seller dans ses versions traduites en allemand ou en anglais...

Depuis des siècles, la pratique de la torture est collée à l’image de la tyrannie, des régimes oppresseurs, à l’arbitraire. Nul ne peut admettre que ces pratiques criminelles qui foulent aux pieds la notion même d’être humain, qui se situent hors de tout respect et très loin de la plus simple humanité, puissent être considérées comme "inévitables".

Qui s’y résout s’en rend complice.

 

Toutefois, si la torture présente l'inconvénient d'être et de rester, sans l’ombre d’un doute, l’arme la plus efficace (et dans une logique de marché, la moins chère, donc la plus rentable) contre la démocratie, dans la même logique, il est évident qu’elle ne "coûte" rien à supprimer…

 

La torture est par essence « incroyable », donc indicible. Comment la décrire pour éviter au lecteur une traumatisation par les mots et les images qui ne manquent pas de s’y associer, peut-être en reprenant un extrait du texte rédigé par Maître Robert Badinter en préface de mon livre Terres Inhumaines[15], préface qui est un résumé de ce qu’est la réalité de la torture :

« L’être humain est d’abord corps. Et ces corps martyrisés, dans ces pages brûlantes donnent son sens à la lutte contre la torture. Ces femmes et ces hommes ont connu le pire, sous des régimes et des cieux divers, comme s’il existait à travers les temps et les sociétés, une internationale de la torture.

Leur récit nous prend à la gorge. Ils ont enduré coups, brûlures, viols, étouffements, ruptures d’os et de tendons, privations de soins. À travers eux, nous vivons toutes les pratiques sophistiquées ou brutales de la violence physique ou morale sur l’être humain, qu’on veut faire souffrir jusqu’à la mutilation ou la mort pour lui arracher un secret ou simplement parce qu’il est l’Autre, l’être qui doit payer de son corps ou sa vie l’indignité d’être différent ou proclamé tel. Et aussi, les tortures plus subtiles qui visent à détruire psychologiquement l’être humain, en l’atteignant dans sa dignité, en ruinant en lui tout respect pour lui-même et pour les autres. Toute la panoplie du sadisme et de la cruauté se déploie dans ces tortures et demeurent inscrites dans la chair et dans l’âme de ces victimes ».

 

Ceci résume de façon « soft » ce que traversent nos patients dans les « terres inhumaines » qu’ils ont eu à arpenter.

De tels traumatismes ne peuvent ni être, ni rester sans conséquences sur les personnes qui entament, effectuent et achèvent un exil contraint et forcé. En effet, les troubles psycho-comportementaux sont une séquelle directe de l’atteinte aux Droits fondamentaux de l’Homme, ils sont présents chez ces « migrants » qui espèrent trouver paix et sécurité au terme de leur périple. Ces signes peuvent ne pas être reconnus comme tels par leurs interlocuteurs, car masqués derrière une symptomatologie parfois banale : nervosité, sautes d’humeurs, cauchemars, maux de têtes, troubles de la concentration, etc., ou derrière des troubles plus «dérangeants» pour l’entourage tels que l'apparition de réels syndromes dépressifs plus «démonstratifs » et aussi de comportements violents en direction des personnels, des intervenants ou contre des membres de leur famille. C’est tout le drame de ce qui sera décrit plus loin comme ’identification à l’agresseur. Cette protection qui rend la victime acteur tant soi peu de son destin. Accepter l’image que le tortionnaire a de vous c’est se retrouver amené à finir le travail, d’où les actes qui vont de « se faire mal » au suicide réussi, avec tous les intermédiaires : conduites addictives, suicidaires, automutilations, tentatives de suicide, ou même comme m’expliquait un jeune patient : “ quand je ne suis pas bien, je ferme les yeux et je traverse la rue ”… jeux dangereux, défi, test ? cela l’amenait régulièrement à se faire copieusement invectiver par des chauffeurs, par ses éducateurs, ce dont il se plaignait ne comprenant pas qu’ils ne comprenaient pas ! ça l’a amené aussi 3 ou 4 fois aux urgences de l’hôpital !

Cette identification à l’agresseur peut amener à des conduites dangereuses voire délinquantes, la victime alors se pare du masque de l’agresseur. Et souvent c’est ce qui motive la demande de consultation est ce coté « sale gosse » pour le moins qui exaspère tant les éducateurs.

C’est le plus souvent à ce stade que les patients nous sont adressés, mais malheureusement, ces symptômes sont souvent confondus avec des manifestations psychiatriques et les patients sont alors en danger d’être mal orientés. Cet « aiguillage défectueux » vient encore renforcer l’idée qui couve très souvent dans l’esprit des patients qui pensent « qu’ils deviennent fous ».

 

 

Quelles symptomatologies présentent les patients que nous recevons ?

Il existe des « symptômes » marquants qui sont repérés quasiment chez tous les patients que nous recevons. Depuis le développement de la victimologie, le terme le plus souvent utilisé pour désigner le syndrome présenté par les victimes est l’ESPT, État de Stress Post-Traumatique, on parle aussi de PTSD, Syndrome de Stress Post-Traumatique.

Ce syndrome regroupe des symptômes apparaissant après une période de latence variable, allant de quelques jours à plusieurs mois, voire parfois des années. Les symptômes couramment décrits sont les suivants :

     . Des troubles de la mémoire et de la concentration ;

     . Des troubles du sommeil souvent importants, à type d’insomnies et de cauchemars ;

     . Un syndrome de répétition, se traduisant par l’irruption répétitive de reviviscences traumatiques et aggravé après une exposition à des événements ou des éléments qui rappellent le traumatisme ;

     . Un syndrome d’évitement, par lequel la personne tente d’éviter tout ce qui lui rappelle l’événement (comme d’en parler, ce qui vient conforter l’hypothèse que le trajet migratoire ne peut faire l’objet d’un récit) et tente même d'esquiver toute émotion ;

     . Des troubles dissociatifs qui seront détaillés plus bas et qui viennent impacter gravement sur la vie de tous les jours des victimes;

     . Une tendance à l’isolement social et relationnel ;

     . Un état « sur le qui-vive » permanent, être détendu c’est être vulnérable, voilà une des leçons apprises par la terreur.  ;

     . Des troubles du caractère à type de nervosité et d’irritabilité, des troubles dépressifs ;

     . Des troubles de l’alimentation, des troubles addictifs ;

     . Des troubles psychosomatiques.

Une place particulière doit être réservée à deux mécanismes de protection qui se révèlent par des symptômes qui viennent gêner en permanence la vie de ceux qui les ont développés : ce sont les troubles dissociatifs et l’identification à l’agresseur.

 

Les troubles dissociatifs

Le débordement psychique[16] et l’expérience de l’impuissance à éviter la catastrophe incitent la victime, et tout particulièrement l’enfant, à se modifier lui-même à défaut de pouvoir modifier l’environnement destructeur. La fragmentation psychique permet au Moi d’échapper à la conscience totale du désastre. « Je ne souffre plus, je cesse même d’exister, tout au moins comme un Moi global »[17]. Il est beaucoup moins difficile de gérer les fragments que de gérer le tout. Cette « fragmentation » psychique est sans aucun doute une « échappatoire » à la folie pure et simple, diviser pour pouvoir encore régner sur soi. Les émotions d’horreur, de terreur, sont séparées de la perception physique de la douleur, des odeurs d’urine et de sang, de la vision du regard haineux ou indifférent de l’agresseur, de la compréhension intellectuelle de l’événement, etc. Ceci permet au psychisme de mettre en place une efficace stratégie de protection en concédant à la victime le pouvoir de perdre partiellement conscience de la confrontation avec la mort inhérente à l’expérience où elle a cessé d’exister en tant que personne.

Il arrive qu’elle éprouve la sensation d’observer de l’extérieur son corps supplicié, ou d’être coupée de la perception de la douleur physique, ou très souvent qu’elle s’absorbe totalement dans un détail inoffensif de la scène.

Ceci rend le récit particulièrement étrange à l’interlocuteur et donc peu crédible aux oreilles d’un intervenant non formé.

En effet quoi de plus étrange que d’entendre comme cela m’est arrivé récemment : « Je ne comprends pas, je voyais mon corps être torturé et je n’avais aucune douleur, je dois donc être fou, parce que ce qu’ils me faisaient devait faire vraiment très mal ».

Sorti de la terreur, ce mécanisme de défense désespéré se manifestera encore chaque fois que la victime sera de nouveau confrontée à un élément matériel ou métaphorique du choc traumatique.

Les personnes paraissent absentes, par exemple lors d’un entretien portant sur leur histoire traumatique et il suffit alors d'un geste, d'une intonation, de l’allumage d’une cigarette, etc., pour entraîner un « décrochage » du patient. L’interlocuteur perçoit ce décrochage de façon implicite : la personne paraît soudain « ailleurs », ou adopte un ton monocorde ou étrangement détaché pour relater des faits horribles.

Chez un intervenant non préparé à ce genre d’entretien cela génère un sentiment d’irréalité, d’ennui, d’incrédulité. La mémoire de l’événement, elle aussi, sera morcelée et organisée selon ce qui fait le plus sens par rapport au choc traumatique, ce qui ajoute encore une difficulté supplémentaire pour accepter la crédibilité du récit de la victime. Il devient simple pour celui qui écoute de ne pas croire à la réalité de ce qu’il entend à son tour il « décroche ». Aiguisés comme le sont les sens des victimes, elles le perçoivent instinctivement ce décrochage le vivent comme un doute, et celui qui essaie péniblement de « raconter », s’interrompt : la torture fait donc bien taire !

Ce « système » arrange souvent tout le monde. Ne plus raconter ces propos terrifiants que l’autre n’a pas envie d'entendre est bien une des fonctions de ce syndrome dissociatif.

 

L’identification à l’agresseur

Le concept a été élaboré par Sandor Ferenczi et remarquablement détaillé par lui « (…) cette peur, quand elle atteint son point culminant, les oblige à se soumettre automatiquement à la volonté de l’agresseur, à deviner le moindre de ses désirs, à obéir en s’oubliant complètement, et à s’identifier totalement à l’agresseur. Par identification, disons par introjection de l’agresseur, celui-ci disparaît en tant que réalité extérieure, et devient intrapsychique »[18].

L’identification à l’agresseur donne à la victime la sensation désespérée et terrifiante de reprendre main sur l’événement mais ouvre de facto le lit de la culpabilité. La victime devient « coupable » à la place de l’agresseur, mais elle cesse partiellement d’être une victime impuissante. Il peut paraître parfois étrange que les victimes manifestent d’intenses sentiments de culpabilité par rapport aux faits qu’elles ont subis, qui les poussent à cacher ces faits ou à les minimiser en s’en rendant responsables. N’ai-je pas entendu « c’est en ces moments-là que je regrettais d’être costaud, c’est de ma faute si j’avais si mal, car j’étais gros à l’époque ». Bien évidemment s’il avait été moins lourd…

Identifiées à l’agresseur, les victimes retournent le plus souvent la violence contre elles-mêmes par la disqualification constante, par les conduites autodestructrices, l’automutilation, les toxicomanies, les tentatives de suicide. Elles peuvent aussi, faute d’avoir pu contre-attaquer un agresseur tout puissant, déplacer une colère légitime sur d’autres innocents, dès lors que leurs caractéristiques rappellent l’agresseur ou l’agression. Les mineurs en particulier reproduisent souvent avec précision les actes de violence ou de détournement sexuel qu’ils ont subis contre les autres enfants, leurs éducateurs, les policiers, etc.

 

Que sont amenés à vivre les patients en plus de la symptomatologie clinique ?

. La maltraitance intrafamiliale :

C’est en exil qu’apparaît la maltraitance « non-structurelle ». Ces troubles psycho-comportementaux, parfois vécus par les patients comme un signe de «leur folie », sont dans la majorité des cas à l'origine des violences intrafamiliales, ou viennent en augmenter gravement l’intensité. Une particularité remarquée dans les soins que je peux apporter à des familles maltraitantes en France : souvent chez les exilés, la demande d’aide thérapeutique est motivée par l’incompréhension devant la violence dont ils font preuve envers leurs enfants ou leur conjoint et dont ils souhaiteraient vivement se débarrasser, alors que dans les familles non exilées c’est souvent au décours d’autres demandes (travail insuffisant d’un enfant, angoisses) qu’apparaissent ces violences intrafamiliales. Ces cas démontrent que la violence subie à l’âge adulte, aussi bien que celle subie dans l’enfance, risque toujours de s’exprimer par la suite à l’encontre des plus faibles et des plus proches.

. La déchéance sociale :

Comme nous l’avons déjà expliqué, toutes les victimes que nous recevons avaient, dans leur pays, une vie plus que correcte avant que les problèmes ne les accablent. Qu’ils aient été commerçants, médecins, enseignants, procureurs, étudiants ou fonctionnaires, etc., ils jouissaient dans leur immense majorité d'un niveau de vie tout à fait satisfaisant. Sur un total d’environ 6500 patients reçus, une infime minorité d’adultes ont été en mesure de récupérer un niveau de vie approchant, peu ou prou, celui qu’ils avaient dans leur pays.

Il est parfaitement licite de considérer comme une revictimation le fait de ne pas trouver de travail correspondant à ses diplômes après l'obtention du statut de réfugié, d'être contraint d'accepter, pour survivre, d'interrompre ses études et de se retrouver à faire un travail que l’on peut considérer comme disqualifiant en comparaison avec celui effectué, ou envisagé, dans son pays d’origine.

Le prix à payer pour avoir fait le choix de la vie est très élevé. Si l’exil n’est dans la grande majorité des cas pour nos patients, adultes ou enfants que la solution de la vie, il est aussi, malheureusement, synonyme de dégringolade dans l’échelle sociale. Il oblige souvent à entreprendre le difficile apprentissage d’une nouvelle langue, voire d’une nouvelle écriture, et l’expérience montre ce qu'il y a parfois d’infantilisant de se retrouver à 40 ou 50 ans, dans une classe en train d'ânonner B, A, BA. Apprentissage d’autant plus difficile que la mémoire est déjà encombrée par tous les souvenirs traumatiques.

Comme cet exil est, de plus, quasiment toujours sans espoir de retour, il y a un travail de deuil très spécifique à faire, sur ce plan-là, avec les familles, qui sont aussi des « victimes collatérales » de la déchéance sociale.

 

Un impérieuse nécessité : la formation

Comme on l’a vu, il existe une réelle spécificité à la prise en charge d’une victime de torture, cela nécessite d’y etrepréparé, formé.

En « extérieur » nous avons une large activité de formation, d’analyse de pratiques et de supervision, et d’expertise devant les institutions internationales.

Dans le cadre des activités extérieures l’année 2010 fut particulièrement chargée. En effet, nous avons été sollicité pour de nombreuses formations dans différents endroits de France, cette tendance s’est d’ores et déjà accrue au début 2011.

J’ai personnellement été amené à sillonner la France dans tous les sens pour des sessions de 2 à 5 jours de formation.

De nombreuses structures d’accueil de demandeurs d’asile nous sollicitent pour des rencontres mensuelles, de plus en plus il y a « mutualisation » de ces activités avec regroupement d’équipes venant d’endroits différents. Plusieurs de ces cycles ont été mis en place dans des conditions idéales où il a été possible de faire précéder les séances d’analyse de la pratique de journées de formation. Ce qui est, me semble-t-il, la meilleure façon d’optimiser les séances d’analyses de la pratique.

Outre l’intérêt direct de ces séances régulières avec les équipes qui sont en contact au quotidien avec les patients que nous recevons au centre de santé Parcours d'Exil, ces déplacements m’ont permis « d’expérimenter » et de rapporter à l’équipe du centre de soins, quand ces déplacements se font en Ile de France, le temps que mettent les patients pour venir du Cada jusqu’au centre de soins. Certains patients réalisant des trajets leur prenant parfois plus de 4 heures aller-retour pour se rendre à leurs consultations avec les intervenants du centre.

Ces formations permettent dans les Cada de rencontrer des intervenants sociaux et souvent leur hiérarchie, dans les foyers de mineurs ce sont les  éducateurs et les équipes de veilleurs de nuit qui sont le plus souvent concernés. le but étant d’essayer de modifier les « systèmes. De montrer que le soin est une nécessité, que le lieu de soin peut devenir l’endroit où les difficultés, les incompréhensions, les contraintes familiales, institutionnelles peuvent s’expliquer, se dire, essayer de se comprendre. S’apaiser. Un effort de tous est nécessaire, mais cet effort devient la preuve que tout le monde se sent concerné et agit pour que « cela aille mieux ». s’ouvre un nouveau champ des possibles pour ces patients, qui n’ont le plus souvent, jamais vécu d’autres situations qu’arbitraires, qu’abus de pouvoir ou que perte des repères « confiances » et « protection ».

Ceci impose de « tenir bon » mais à ce prix, à l’aune de ces efforts des différents intervenants, se mesurent les progrès et s’ouvre une vie apaisée.

 

.  En interne les intervenants salariés ou bénévoles de l'association participent aux cycles de formation de 3 ou 5 jours réalisés en interne sur la prise en charge du psycho-traumatisme, mais aussi aux réunions mensuelles. Ces réunions relèvent du partage d’expérience, de l’analyse de pratique et du soutien entre thérapeutes. À chaque réunion, un thérapeute est appelé à présenter un cas de patient qui pourra être débattu avec l’équipe afin de profiter des apports de chacun et pouvoir adapter, le cas échéant, leur pratique en fonction de ces échanges. Nous organisons des réunions de tous les intervenants (thérapeutes, professeurs et personnel administratif) pour présenter l’avancement des travaux de chacun, les projets de l’association et les évolutions en termes de gestion. Une journée sans patient est organisée, intégrant tant les salariés que les bénévoles et tant les thérapeutes que les professeurs ou le personnel administratif, afin que les thérapeutes puissent former les non-thérapeutes et afin de débattre de thèmes communs à tous : précarité des patients, durcissement des lois relatives à l’obtention du statut de réfugié, etc.

 

Activités de « lobbying »

• Nous nous efforçons également de faire appliquer la Directive européenne sur les conditions minimales d’accueil des demandeurs d’asile, qui fait référence aux victimes de torture et aux soins dont ils ont besoin, en particulier par un travail visant à mettre en place un protocole de reconnaissance précoce des victimes de torture. Depuis le mois de juillet 2010, Parcours d’Exil conduit un nouveau projet européen visant à améliorer la détection et l’orientation des demandeurs d’asile victimes de tortures en Europe. Le projet PROTECT (Process of Recognition and Orientation of Torture victims in European countries to facilitate Care and Treatment) rassemble sept organisations partenaires issues de six Etats membres de l’UE : Bulgarie; Allemagne, Hongrie, France, Danemark, Pays-Bas. Toutes ces organisations sont impliquées dans le soin aux victimes de tortures et l’accompagnement juridique et social des demandeurs d’asile.

 

En guise de conclusion : les difficultés actuelles

La Commission européenne se désengageant du financement des centres dans l’union européenne, d’un point de vue financier, l’année 2011 est marquée par des difficultés financières accrues puisque nous ne disposons plus de ces financements européens, et sommes privés d’une grosse partie de nos ressources. Si un travail d’autonomisation financière se fait déjà en générant plus d’actions de soins délocalisés et/ou de formations auprès des professionnels, le temps passé dans ces interventions extérieures est pris sur le temps de soins des patients au centre, engendrant une baisse du nombre de patients reçus. Notre travail de réflexion et de sensibilisation auprès des professionnels et du gouvernement sur la question de la reconnaissance précoce des victimes de torture, sujet sur lequel nous travaillons depuis 2007 se justifie donc d’autant plus.

De plus en plus, le processus d’examen des demandes d’asile continue de nous imposer une charge de travail élevée, venant ajouter au travail strictement sur un plan thérapeutique et administratif, la rédaction de nombreux certificats médicaux que nous devons délivrer.

L'année 2010 a été une année de restructuration très importante pour notre association. La fin de la subvention européenne a placé le centre de soins dans une situation financière délicate. Afin d'anticiper les réductions importantes de budget, un plan de réduction des charges a été mis en œuvre au cours de l'année 2010. Tout d'abord, nous avons choisi de déménager les locaux de l'association afin d'économiser sur les frais de loyers. Les nouveaux locaux sont plus petits, ce qui a permis de réduire sensiblement la ligne budgétaire de dépense concernant le loyer, mais a limité le nombre de bureaux et donc généré des problèmes d’occupation et de cohabitation des différents intervenants. Ensuite, le centre a été contraint de procéder à des licenciements économiques au mois de juin 2010. Ces licenciements ont touché le personnel administratif avec la suppression du poste de chargé de communication, comme le personnel soignant avec le licenciement de la kinésithérapeute et de trois psychologues), de ce fait nous avons été amené à supprimer le poste de kinésithérapie qui était pourtant une activité importante du centre et dont les effets thérapeutiques étaient partie prenante des soins proposés.

Toutefois, il a été fait en sorte, pour le bien des patients pris en soins que ces changements n'aient qu'un effet limité sur la prise en soins des patients du centre. L'implication de nouveaux bénévoles, en particulier d'une kinésithérapeute retraitée et la volonté des psychologues licenciés de poursuivre provisoirement à titre bénévole les thérapies en cours nous ont permis de conserver une activité semblable à celle de 2009 et conforme aux prévisions.

Les structures de soins pour les victimes de tortures manquent de financement et ne sont pas en mesure de répondre aux sollicitations des institutions ou organismes leur adressant des patients, il nous est très douloureux de voir augmenter de mois en mois le nombre de demande de prises en soins auxquelles nous ne pouvons, faute de moyens, qu'opposer une fin de non-recevoir. De voir la liste d’attente s’allonger.

Il est de notre devoir de continuer à offrir à toutes ces personnalités hors du commun que j'évoque ici, une possibilité de se reconstruire ; leur permettre de continuer à croire, même si c'est un fol espoir, que le monde n’est pas que de violence; que la confiance peut ne pas être un mot vide de sens ; que, pour les enfants, les adultes peuvent, et doivent, être protecteurs ; que la raison du plus fort, du plus méchant, n’est pas forcément la meilleure et que l'on peut être simplement fort et gentil. Les pièges que tendent les pouvoirs de l’horreur sont terribles.

                                                     Docteur Pierre Duterte Médecin

                                                     Directeur du centre de santé Parcours d'Exil

                                                     Psychothérapeute thérapeute familial.

 

Bibliographie :

Paul Aussaresses, Services spéciaux, Algérie 1955-1957, éditions Perrin, mai 2001

Pierre Duterte, Terres Inhumaines, éditions J.C. Lattès, Paris 2007

Sandor Ferenczi, Journal clinique, Paris, Payot 1985

Sandor Ferenczi, Confusion de langue entre les adultes et l’enfant. Le langage de la tendresse et de la passion, in Psychanalyse IV, Payot, Paris 1982,



[1] Pierre Duterte, médecin, psychothérapeute et thérapeute familial. En 1994 il s’engage comme médecin bénévole, puis en 1995 devient salarié et enfin médecin directeur d’un centre de soins pour victimes de torture. En 2001 il co-fonde l’association Parcours de Jeunes, puis ouvre en 2002 le centre de soins Parcours d’Exil. En 1994, il est nommé Généraliste d’Or pour son activité professionnelle et ses engagements.

[2]. Est-ce qu’il est licite de considérer qu’être femme au foyer n’est pas une activité ?

 

[3] Le trouble de stress post traumatique est une réaction psychologique consécutive à une « expérience » durant laquelle l'intégrité physique et-ou psychologique du patient et-ou de son entourage à été menacé et-ou effectivement atteinte. La réaction immédiate à l'événement se traduit traduite par une terreur, par un sentiment d’impuissance, d’inéluctabilité de la catastrophe et par un sentiment d’horreur.

Ensuite il se manifeste par le fait que la victime revit l’événement traumatisant, tente d’éviter les situations et les facteurs déclencheurs qui pourraient lui rappeler l’événement traumatisant, de l’hyper vigilance et a par conséquent de la difficulté à se concentrer des insomnies des cauchemars etc.

 

[4] « On pense aux fruits qui deviennent trop vite mûrs et savoureux, quand le bec d’un oiseau les a meurtris ; et à la maturité hâtive d’un fruit véreux. » Ferenczi S. (janvier - octobre 1932), Journal Clinique, Paris, Payot, 1985. L'enfant qui a subi un traumatisme peut sous la pression de l'urgence traumatique, déployer toutes les émotions d'un adulte arrivé à maturité. On peut alors parler simplement de progression traumatique, ou de prématuration toutes deux pathologiques.

 

 

[5]AP (NOUVEL OBSERVATEUR) 05.02.07 
Quinze soldats britanniques de moins de 15 ans envoyés en Irak
 Quinze britanniques âgés de moins de 18 ans ont été envoyés combattre en Irak depuis juin 2003, en violation du protocole des Nations unies sur les droits des enfants, a reconnu dimanche le gouvernement britannique.Selon le ministre de la Défense Adam Ingram, très embêté, la "grande majorité" de ces jeunes soldats étaient à moins d'une semaine de leur 18ème anniversaire quand ils ont été déployés ou ont quitté le théâtre des opérations moins d'une semaine après y être arrivés. Il y avait parmi eux quatre jeunes filles et aucun d'entre eux n'avait moins de 17 ans. "Moins de cinq soldats de 17 ans ont été déployés pour une période de plus de trois semaines", a-t-il ajouté dans une réponse écrite à la Chambre des communes...

 

[6] Le plan Condor (Operación Cóndor) est le nom donné à une campagne d'assassinats conduite conjointement par les services secrets du Chili, de l'Argentine, de la Bolivie, du Brésil, du Paraguay et de l'Uruguay au milieu des années 1970.

[7]centres de détention secrets dont l'existence est niée par le gouvernement

 

[8]Ghost detainee iest un terme officiel tilisé par le gouvernement US pour designer un prisonnier retenu en centre de détention dont l’identitée est cachée et qui n’a pas été officiellement enregistré.

 

[9] Centre d’Accueil pour Demandeur d’Asile

[10] Centre Provisoire d’Hébergement

[11] Par exemple des céphalées  sont le plus souvent psychogènes et séquelles des traumtismes, elles peuvent aussi être causées par une hernie discale cervicale (que la psychothérapie ne parviendra pas à guérir).

[12]Le patient désigné, qui consulte n'est pas le seul élément dans la démarche. Dans la pratique systémique, il est accordé une place importante non seulement au conscient et à l’inconscient mais aussi à comment le système  dont il fait partie (familial, professionnel, social, traumatique etc.) agit. Comment couple patient thérapeute est agit par le ou les systèmes.

 

[13] Paul Aussaresses, Services spéciaux, Algérie 1955-1957, éditions Perrin, mai 2001.

[14] 24h Chrono, titre original 24 - Twenty-four, feuilleton créé par Joel Surnow et Robert Cochran, première diffusion le 6 novembre 2001 : 55 jours après le 11 septembre 2001…

[15] P. Duterte, Terres Inhumaines, éditions J.C. Lattès, Paris 2007, p.13.

[16] la victime se retrouve psychiquement incapable de faire face à ce qui lui arrive, la catastrophe est vécue comme inévitable. Il n’y a plus rien à faire.

[17] S. Ferenczi, Journal clinique, Paris, Payot 1985, p. 236.

[18] S. Ferenczi, Confusion de langue entre les adultes et l’enfant. Le langage de la tendresse et de la passion, in Psychanalyse IV, Payot, Paris 1982, p.130.

Absence et exil

 

Voir s’ajouter l’absence d’enfants restés au pays, perdus en route, dont on est sans nouvelles, aux traumatismes vécus au pays, à la torture, aux compromissions imposées par le tra- jet migratoire et à l’exil est une épreuve particulièrement in- supportable.

Elle place le ou les patients devant une autre impossibilité de parler, souvent même d’évoquer ces enfants « absents ». L’indicible s’étend aux membres de la famille. Le thérapeute confronté à cette incroyable réalité se trouve mis dans une position des plus délicates. Accueillir ces enfants absents en séance, un nouveau défi.

La disparition, qu’elle soit d’un enfant ou d’un adulte, ne per- met pas l’accompagnement d’un deuil, le soutien pour essayer de tourner une page. Au contraire elle impose au patient de vivre dans l’incertitude, de gérer en permanence un effroy- able et inquiétant doute. Elle impose également la vie dans la permanence d’un temps distendu, où l’attente devient inter- minable, sans fin envisageable.

Attente qui vient s’ajouter à l’attente des papiers, du logement, du travail, etc. un temps d’attente, un temps figé.

Une fois expérimentée en France la très aléatoire sécurité, une fois le pied posé en terre « d’accueil » et la découverte de ses conditions de vie des plus précaires ; une fois que re- viennent avec intensité les séquelles traumatiques, les sou- venirs qui hantent l’esprit et mangent la mémoire, comment accepter l’idée même de la vie des enfants restés au pays ? Cette intolérable absence que des parents ne peuvent à l’évi- dence accepter. Le seul « refuge » s’installe alors : l’impos- sibilité de penser.

Tout thérapeute, comme tout être humain, a malheureusement eu à expérimenter le deuil dans sa famille, la perte d’êtres chers, mais comment imaginer la disparition ?

Certes quand un enfant disparaît, que la télévision et les autres médias s’en font écho, l’on est amené à essayer «d’imaginer». Mais il n’y a pas, dans ces cas tragiques, de chape de silence qui s’abat. Au contraire les forces de l’ordre coordonnent les recherches, des moyens importants sont mis en place, la fa- mille se voit entourée dans son « absence ». Le plus souvent des associations se créent, des voisins des amis, des incon- nus se lancent à la recherche. Dans l’horreur les parents ne sont jamais seuls. Le village, le quartier est mobilisé. La so- ciété joue son rôle !

Pour ces enfants laissés au pays qui se mobilise? Qui accom- pagne ces parents perdus, qui entoure, qui participe à ces im- possibles recherches ? Leur solitude face au malheur est totale.

Qui vient soutenir cet espoir insensé que des enfants pour- ront survivre dans la guerre? Au cœur de la terreur? Qui vient accompagner l’espoir qu’ils ne deviendront pas les victimes expiatoires des militaires, des tenants des dictatures toujours promptes à transférer la terreur?

Docteur Pierre Duterte

Faut-il juger les enfants soldats

Enfants soldats, partout dans le monde!

La place de l’enfant est constamment foulée aux pieds dans le monde moderne, sur fond de discours solennels sur la fin de l’esclavage, de respects des droits de l’enfant, d’égalité des chances, d’éducation pour tous, de démocratisation par Internet et j’en passe. J’ai croisé beaucoup d’enfants qui avaient souffert au-delà de tout d’avoir été mis à une place impensable : celle de soldats.
Ce drame est venu m’exploser à la figure il y a une dizaine d’année quand sont arrivés dans mon bureau les enfants de Sierra Léone. Ils avaient certes vécu le drame d’avoir été enrôlés, utilisés, mais, pour tous ceux que j’ai reçus, ils avaient vécu l’expérience « initiatique » d’être confrontés à la violence dans ce qu’elle doit avoir de plus absolu. Contraints qu’ils avaient été, sous menace de mort d’assister qui au viol de sa mère, de ses soeurs, à l’amputation sauvage de bras de jambes de ses frères, sœurs ou voisins, au massacre de toute la famille et j’en passe, sachant ce que les mots peuvent faire mal. Un de mes jeunes patients, parmi les plus éprouvés; avait été contraint de jouer au football avec la tête tranchée de son père.
Pareils « spectacles » transforment ces adolescents en témoins impuissants. Toute réaction, aussi dérisoire soit-elle, les mettrait immédiatement en danger de mort, l’inimaginable colère qu’ils emmagasinent fait le lit de la violence, de l’identification à l’agresseur.
Comment imaginer qu’il existe aujourd’hui encore des adultes capables de « donner cet exemple »? capables de mettre des kalachnikovs dans des mains d’enfants, et de leur faire croire qu’un gri-gri, qu’une piqûre ou une cigarette magique les rendra invincibles. Comment ces gamins peuvent encore croire que le rôle de l’adulte est de protéger, de donner les règles? J’en ai reçu qui avaient été au combat à 8 ans, qui avaient été nommés « sergent chef » à 11 ans parce que les autres avaient 9 ans.
Les médias ont diffusé de nombreuses images d’enfants combattants ; ils n’ont montré souvent que des regards durs, des mains trop petites pour les AK 47 ou les machettes, vignettes du pittoresque atroce dont l’époque est friande, mais je suis toujours frappé que l’on ne montre que des enfants noirs.
Comment ne pas penser aux enfants colombiens embrigadés par les FARC? Mais aussi pourquoi ne pas balayer devant nos portes, si près de chez nous? Pas seulement en se rappelant ces images terribles d’un Hitler, qui, sortant un instant de son bunker, quasiment sans plus d’armées, pinçait « paternellement » la joue d’un gamin de Berlin en feu pour lui faire croire qu’il pourrait par son combat sauver le IIIe Reich de l’abîme. Mais aussi en pensant aux enfants utilisés en Irlande du Nord, il y a peu, ou en se révoltant du fait qu’il y a 15 mineurs britanniques envoyés combattre en Irak depuis 2003 et parmi eux quatre filles, en dépit de la ratification par la Grande-Bretagne d’un protocole de l’ONU sur les enfants-soldats.
Que l’enfant soit anglais, irlandais, arabe, tchétchène ou africain, il est d’abord un enfant. Son monde a été détruit et son psychisme cabossé en même temps.
Pour moi le psychisme de l’enfant est un peu comme de la pâte à modeler: quand elle est « jeune » un coup l’écrase certes, mais que cette plasticité qui la rend si malléable permet AUSSI toutes les reconstructions.

Thérapie familiale en situation extrème publié par l’EFTA (european family therapy association)

Thérapie familiale en situation extrême
La thérapie familiale pour des victimes de torture
Un moment de vie (de survie, de sur vivants) parmi tant d’autres que nous sommes amenés à recevoir : un couple et une jeune fille de 11 ans et un bébé de quelques mois, dans les bras de sa mère, se présentent en consultation au motif que « la petite fait des cauchemars ». D’emblée la position des parents m’intrigue, ils sont « séparés » par la jeune fille et s’asseyent même en plaçant leur corps non parallèle mais se tournent presque dos sans avoir bougé les chaises.
Très vite j’ai l’impression de ne rien comprendre à ce qui se joue. Monsieur malgré une apparente douceur semble « fâché », la jeune fille à l’air « paumée » au milieu de ses parents. La mère porte contre elle son bébé et à l’air « mécontente », ailleurs. Une première explication vient quand je parle de leur bébé et que le mari me reprend et me dit « non… SON bébé ».
Je leur propose de faire un génograme pour m’aider à me retrouver. En fait , dans leur pays, avant que tout ne bascule, ils avaient trois enfants, pour des raisons politiques ils ont du fuir chacun de leur coté le père emmenant sa fille dans sa fuite, la mère fuyant de son coté, laissant les deux plus jeunes à des proches. Les deux parents ayant été séparément torturés, violés L’épouse après un long périple arrive en France, essaie d’avoir des nouvelles de sa famille. Quatre années de difficultés, de solitude, d’inquiétude passent. Elle finit par être convaincue qu’elle est veuve, et fini par répondre aux attente d’un compagnon qui lui propose réconfort et logement. Peu de temps après la voilà enceinte. A l’annonce de cette grossesse le « compagnon » l’abandonne et la revoie à la rue. Dans les méandres de la demande d’asile, elle apprend des autorités françaises que son mari a, lui aussi fait une demande d’asile, que celui de qui elle croyait être la veuve, son ex époux est en France avec leur fille aînée. Des retrouvailles ont lieu. . Tout cela après que les deux aient été violés, la fille aînée ayant été témoin d’une partie des tortures imposées au père. Un thérapie familiale est proposée. Pour compléter le tableau, après une dizaine de séances ils viennent en allant de nouveau manifestement très mal et expliquent qu’ils viennent apprendre que les deux enfants qu’ils n’avaient pu emmener dans leur fuite étaient mort peu après, et que personne n’avait depuis six ans osé leur annoncer leur assassinat.
Est-il possible de faire de la thérapie familiale dans des situations « extrêmement extrêmes » ? quelles sont les difficultés à surmonter ?
La première question à se poser est : quelle famille recevons-nous ?
L’exil qui fait suite aux violences, à la torture, destructure, fait exploser les familles. Qui vient en consultation, quelle est la famille que nous avons dans notre cabinet ? Celle qui a suivi la « victime désignée » dans l’exil, ses membres ayant aussi eux, bien souvent, été victimes de sévices voire de tortures sans pouvoir, ou vouloir en parler ? La famille exilée, qui a du « laisser » au pays plusieurs de ses membres ? La famille « reconstituée » en France ? Que dire des Mineurs Isolés Etrangers (MIE), qui peuvent paraître de fait de leur statut d’isolé comme peu qualifiés pour une thérapie familiale, mais qui, avant de se retrouver malgré leur jeune âge, seuls en France, ont le plus souvent vu périr leur famille, ont été victimes d’insoutenables violences, qui ont parfois été amenés à faire la guerre à 7, 10 ou 15 ans ? C’est par le biais la thérapie familiale de réseau où la famille est vécue au sens le plus large… Famille d’accueil, éducateurs, référents de l’aide sociale à l’enfance que nous avons fait le choix de leur proposer des thérapies familiales !
Dans tous les cas, les sévices, les tortures endurées par le père, la mère ou les deux, par les mineurs voire les sévices qu’ont été contraints de faire endurer, la peur, les cauchemars hantent le système familial autant que la personne victime.
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Ce sont donc des famille explosées, déstructurées depuis l’épreuve traumatique que nous recevons, ce sont des MIE vivant dans des conditions d’une extrême précarité, ou au mieux dans des foyers pour mineurs où ils sont souvent, s’ils ont été enfants soldats et ont pu en parler, vécus comme des «enfants dangereux», certains allant même jusqu’à oser les classer dans la catégorie de « psychopathes irrécupérables ». ce sont des enfants « incompréhensibles » qui viennent essayer de s’installer dans une famille d’accueil qui elle non plus ne peut imaginer ce qu’est la vie dans un état totalitaire ou en guerre.
Comme on le voit la situation extrême, dans le cas des patients que je reçois est sous tendue par « l’histoire traumatique ». La torture au sens large (incluant les mutilations sexuelles et les mariages forcés etc.) a, on s’en doute, des impacts redoutables, déflagrants et multiples. Les conséquences du traumatismes majeur se font sentir à différents niveaux dans le cadre d’une prise en soins :
→sur le thérapeute : L’histoire traumatique des personnes réfugiées confronte les professionnels à des souffrances vécues intenses mais aussi aux logiques terrifiantes de certaines volontés de puissance. Le caractère inouï, totalitaire, pervers de ces entreprises de destruction peut avoir un effet de sidération sur l’intervenant qui peut le priver de ses réflexes professionnels. L’horreur peut amener à des réactions qui « pavées de bonnes intentions » peuvent avoir des effets catastrophiques.
Pour cette raison, il est nécessaire de prendre conscience et connaissance de ces logiques, de ce former. Certes pas pour « s’endurcir » mais plutôt pour éviter un dommageable déplacement de l’effroi vers les intervenants. C’est la volonté de puissance et de destruction d’autrui qui sont terrifiantes, et non les victimes.
→sur le cadre familial. -L’exil est aussi un des facteur majeur qui guide la thérapie, il ne faut jamais perdre de vue que ces familles viennent d’un autre monde que le nôtre, différences d’habitudes dites culturelles ; de liberté de hiérarchie familiale, mais surtout la dictature d’un régime totalitaire induit très souvent des comportements totalitaires sur le système familial. Il apprend que celui qui crie le plus fort est celui qui gagne… qu’il faut être violent brutal, armé pour être « protégé » ou « tout puissant ». c’est bien cette « toute puissance » que peut revivre le patient face à un intervenant « qui sait » ; et lui faire croire que plus rien ne changera jamais dorénavant.
À l’inverse le système totalitaire n’apprend pas, par exemple, que l’on ne va en prison (normalement) que si l’on a commis un acte répréhensible, contraire à la Loi… je me souviens de ce père iranien, incarcéré et torturé à la prison de Téhéran, peu après la « Révolution des Mollahs » qui ne pouvait, du fait de ses humiliations parler de son incarcération, fait l’impasse sur cette période d’absence. Le fils apprend arrivé en France que les criminels, les voleurs vont en prison mais pas ceux qui commettent le délit de penser autrement que le bon président ! donc ipso facto ils deviennent, se vivent et sont donc vécus comme des enfants de taulards… Ce système fonctionne bien à tous les échelons… Ayant été reçu par le chargé du mécénat d’une très grande entreprise française à qui j’exposais le but de notre travail, après un moment ce personnage attentif devait résumer « si je comprends bien vos patients sont des communistes qui n’ont pas su la fermer… » il est évident que loin de faire parler, la torture fait taire et la dictature empêche de penser !
Le traumatisme et ses conséquences associés à l’exil bouleversent la structure familiale, imposent brutalement une recomposition des rôles et places de chacun, avec bien trop souvent une « parentification » des enfants. L’ascendant que prennent ces derniers sur leurs parents se développe insidieusement grâce à l’école qui les sort de « l’isolement familial ». Ils deviennent les interprètes officiels de la famille, et les médiateurs avec les administrations, les services sociaux, ils deviennent écrivains publics et même gestionnaires de la famille. Il n’est pas rare de voir les enfants parler, lire et écrire le français au bout de quelques mois d’exil, tandis que les parents peinent à balbutier des phrases usuelles venant, bien involontairement, renforcer l’idée de déchéance sociale qui humilie quotidiennement leurs parents. Cette situation renforce rapidement le sentiment de déchéance qu’éprouvent les adultes et enferme les enfants dans une « double contrainte » les obligeant à réussir pour aider leurs parents mais pas trop, pour ne pas les humilier. Une autre source de difficultés pour les enfants vient de la méconnaissance, voire du déni, de leur propre histoire traumatique.
Quand le père ou la mère, ou pire quand les deux parents ont été victimes de sévices, leur caractère et donc leurs comportements sont profondément changés, leurs repères ont volé en eclats ; les autres
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membres de la famille se retrouvent face à une ou des personnes inquiétantes, voire violentes, qu’ils ne reconnaissent plus et qu’ils ne peuvent ni comprendre, ni tenter d’aider.
De même, lorsque les familles ont été séparées trop longtemps, les différences de vécus pendant les années de séparation, les difficultés de la vie quotidienne en France, les espoirs déçus, etc. deviennent des sources de conflits à l’occasion de retrouvailles pourtant tant attendues. La partie de la famille restée au pays a eu, elle aussi, à souffrir le plus souvent de harcèlement voire bien pire, de représailles directes causées, par exemple, par la fuite du chef de famille.
Il leur est le plus souvent impossible de parler de ces mauvais traitements pour de multiples raisons, la principale étant que le secret devient la règle de fonctionnement de la famille. Et comment ne pas essayer de faire de son mieux pour essayer, croire avoir réussi à faire son « travail » : protéger ses enfants ?
Un exemple patent de cette impossibilité à admettre que les enfants puissent être englobés dans la sphère des victimes me fut présenté par une mère, visiblement souffrant d’un syndrome dissociatif majeur. Elle avait, révéla-t-elle, été violée par cinq militaires.
- Heureusement, ajouta-t-elle, les enfants n’ont rien vu. Je demandai à voir les enfants. Le premier fut le fils de 11 ans, gamin jovial. Après avoir répété
plusieurs fois, la casquette vissée de travers « à la mode » sur la tête : « Tout va bien, la France c’est super », brusquement, il enchaîna, le regard absent : – J’ai assisté à l’amour forcé de ma mère. Il devait répéter cette phrase terrible plusieurs fois, sans s’interrompre, sans pause.
Il s’était visiblement soulagé d’un poids. Une fois apaisé, il ajouta qu’il en faisait des cauchemars. Dans cette séance particulièrement poignante, j’évitai de lui faire revisiter ce souvenir. Nouvel entretien avec la mère. Évoquant le viol, elle expliquait à nouveau que ses enfants n’avaient rien vu.
-Ils étaient où les enfants pendant que vous étiez ainsi torturée ? – Je les avais cachés sous le lit… Ils n’avaient sans doute pas vu la série des viols dans leur abjecte crudité. Mais ils en avaient quand même vu et entendu assez.
Comment espérer alors un épanouissement individuel et familial harmonieux ? Une prise en charge à ce niveau permet de restaurer des cadres intra-familiaux rendant moins problématique l’insertion de chacun et de tous dans la société française.
- La torture dans ma pratique, la torture est à l’origine et fait le lit des symptômes.
Comme le dit très justement maître Robert Badinter dans la préface de Terres inhumaines:
L’être humain est d’abord corps. Et ces corps martyrisés, dans ces pages brûlantes donnent son sens à la lutte contre la torture. Ces femmes et ces hommes ont connu le pire, sous des régimes et des cieux divers, comme s’il existait à travers les temps et les sociétés, une internationale de la torture. Leur récit nous prend à la gorge. Ils ont enduré coups, brûlures, viols, étouffements, ruptures d’os et de tendons, privations de soins. À travers eux, nous vivons toutes les pratiques sophistiquées ou brutales de la violence physique ou morale sur l’être humain, qu’on veut faire souffrir jusqu’à la mutilation ou la mort pour lui arracher un secret ou simplement parce qu’il est l’Autre, l’être qui doit payer de son corps ou sa vie l’indignité d’être différent ou proclamé tel. Et aussi, les tortures plus subtiles qui visent à détruire psychologiquement l’être humain, en l’atteignant dans sa dignité, en ruinant en lui tout respect pour lui-même et pour les autres. Toute la panoplie du sadisme et de la cruauté se déploie dans ces tortures et demeurent inscrites dans la chair et dans l’âme de ces victimes.
Je pense que ceci résume de façon « soft » ce que traversent nos patients dans les « terres inhumaines ».
Une place très particulière doit être réservée à la disparition
Edith Goldbeter a développé un concept, celui du tiers pesant, l’absent qui est très présent. Ce concept est souvent dans nos prises en soins une réalité :le conjoint disparu, le ou les enfants restés
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au pays et dont on a peu ou pas de nouvelles. En effet, car elle ne touche pas la victime désignée, mais elle est d’une redoutable efficacité : la disparition. Pourquoi fait-on disparaître quelqu’un ? Pourquoi ne pas se limiter à l’arrêter, à l’emprisonner, voire à l’exécuter ?
La réponse est probablement plus simple qu’il n’y paraît. La disparition mine la société dans ce qu’elle a de plus fondamental en elle, les rites de deuil qui suivent la mort officielle. La disparition empêche tout travail de mémoire. Elle bloque la pensée. Elle rend fou. Ce n’est sûrement pas pour rien que des femmes, mères, épouses, sœurs, filles, tournaient en rond, sur la Place de Mai, à Buenos-Aires, pendant la dictature argentine. On les appelait les « Folles de Mai ».
Elles n’avaient pas le droit de manifester, alors elles marchaient sur cette place, devant le bâtiment de la présidence, la Casa Rosada. Elles contournaient l’interdiction de banderoles en portant toutes un fichu blanc sur la tête. Elles voulaient savoir où étaient leurs enfants enlevés et disparus, victimes pour beaucoup du sinistre Plan Condor1.
Elles ne pouvaient supporter de ne pas savoir. Le drame spécifique de la disparition se noue très vite, la mise en scène comportant souvent un enlèvement. À l’instant où vous êtes arrêté commence votre mort sociale. Vous devenez non-existant. Les acteurs de cette mise en scène sont souvent des policiers en civil, banalisés. Vous n’apparaissez plus sur des registres, la justice ignore où vous pouvez être, les autorités aussi. Le silence tombe, le doute s’insinue. Si, au bout de plusieurs années, les survivants décident : « Maintenant c’est sûr, il (ou elle) ne reviendra plus » cela équivaut pour eux à décider de la mort du disparu, parent, compagne, mari. Après un terrible travail de recherche infructueux, d’enquêtes, de prise de risques, c’est à vous qu’appartient en plus la décision impossible de ne plus accepter les éventualités de l’emprisonnement, de la fuite. Vous voilà contraint de vous faire à l’idée que cette personne est morte. C’est à vous que revient l’idée de la tuer. Décider qu’il ou elle est mort(e), c’est aussi se dire qu’il ou elle n’aura pas de sépulture, quand il n’y a pas de sépulture, un peu comme les « ghosts-houses » du Soudan ou les « ghost-detainees », toute la ville, le pays tout entier devient une sépulture possible. Car pour commencer le travail de deuil a besoin de preuves, de certitudes. Il faut que la mort ait une réalité pour que le symbolique puisse se manifester. Dans la disparition, il n’y a rien de tout cela. La fonction de groupe que revêt tout enterrement est aussi gommée. Le rôle fédérateur, donc dérangeant par essence pour le pouvoir, des condoléances, quelque forme qu’elles puissent prendre, ne peut avoir lieu. Même la machine médico administrative ne peut fonctionner, le certificat médical de décès ne peut être délivré. La mort est volée à la mort. La disparition a bien pour but de tuer la mort, de priver la société de ses rites de deuil, en cela elle est « sociéticide ». La disparition s’applique également à l’ « éventuel » assassin puisque sans cadavre, il n’y a pas d’assassin, personne sur qui focaliser sa colère ; ici encore cela peut être tout le monde. Et alors que dans un deuil classique le temps estompe la douleur et la mémoire, éloignant progressivement le passé, tandis que l’absence se structure dans le souvenir, ici comme dans toute torture, le mutisme devient la règle, les symboles primordiaux sont tus, tués. Pour beaucoup de nos patients, la disparition de leur conjoint, de leurs parents, de certains de leurs enfants inflige une douleur constante et lancinante. Ils ne savent pas s’ils les reverront un jour, s’ils sont mort ou pas, s’ils ont pu s’enfuir et survivre, ni au prix de quelles tribulations. Cela augmente la culpabilité d’être vivant et en relative sécurité. Attendre, attendre, une attente qui s’additionne à beaucoup trop d’autres. La disparition a tout de même « un avantage » que n’ont pas d’autres formes de torture: elle jouit légalement d’un privilège non négligeable qui rend possible la poursuite pénale des responsables quand ils peuvent être identifiés et même faire éventuellement traîner les dictateurs en justice : la procédure reste active tant que le corps n’a pas été retrouvé. Ce n’est qu’à cette date-là que commence à courir le délai légal de prescription ; c’est, entre autres causes, ce qui a permis de rendre la vie moins douce à Augusto Pinochet. Maigre consolation mais… .
Tout ceci montre que l’exil est un des constituant des problèmes traumatiques qui viennent perturber le système familial mais, malgré toutes ses difficultés, toutes ses embûches voire ses pièges il a été et reste, pour la grande majorité de nos patients, dans le premier temps le seul espoir, LA solution, et… un premier pas dans la recherche d’une hypothétique réparation.
1 Le plan Condor (Operación Cóndor) est le nom donné à une campagne d’assassinats conduite conjointement par les services secrets du Chili, de l’Argentine, de la Bolivie, du Brésil, du Paraguay et de l’Uruguay au milieu des années 1970.
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Une conséquence directe de l’atteinte aux Droits fondamentaux de l’Homme qui ont conduit des demandeurs d’asile dans notre pays est qu’ils présentent des troubles psycho comportementaux qui peuvent ne pas être reconnus par leurs interlocuteurs comme tels, car masqués derrière une symptomatologie parfois banale : nervosité, sautes d’humeurs, cauchemars, maux de têtes, troubles de la concentration etc…. ou derrière des troubles plus « dérangeants » pour l’entourage : apparition de réels syndromes dépressifs plus « démonstratifs », mais aussi comportements violents en direction des personnels, des intervenants, ou contre des membres de leur famille, c’est le plus souvent à ce stade que les patients nous sont adressés. Mais malheureusement ces symptômes sont souvent confondus avec des manifestations psychiatriques et donc mal orientés.
Cet « aiguillage défectueux » venant encore renforcer l’idée qui couve très souvent dans l’esprit des patients « qu’ils deviennent fous »
Quelle symptomatologie rencontrons nous le plus souvent : → La maltraitance intra-familiale : C’est en exil qu’apparaît la maltraitance « non-structurelle ». Ces troubles, parfois vécus par les patients comme un signe de « leur folie », sont dans la majorité des cas à l’origine des violences intrafamiliales ou viennent en augmenter gravement l’intensité. Une particularité comparée aux soins que je peux apporter à des familles maltraitantes en France : souvent chez les exilés la demande d’aide thérapeutique est motivée par le fait de l’incompréhension de la violence dont ils font preuve envers leurs enfants ou leur conjoint et dont ils souhaiteraient vivement se débarrasser. Ces cas démontrent que la violence subie à l’âge adulte aussi bien que dans l’enfance, risque toujours de s’exprimer ensuite à l’encontre des plus faibles et des plus proches.
→ La déchéance sociale : Ces victimes que nous recevons avaient, dans leur pays, quasiment toutes, une vie plus que correcte avant que les problèmes ne s’abattent sur eux. Qu’ils soient commerçants, médecins, enseignants, procureurs, étudiants ou fonctionnaires, etc. ils jouissaient dans leur immense majorité d’un niveau de vie tout à fait satisfaisant, et qui de toute façon, était très nettement supérieur à celui qui leur est imposé dans notre pays. Ce n’est pas l’envie de vivre dans la rue, en urgence sociale ou même en foyer qui les a fait venir. Ils n’ont pas choisi ce type de vie… Ils ne nous ont pas choisi, pas plus qu’ils n’ont choisi la guerre, la terreur, la torture, tous ces traumatismes majeurs qui les ont envoyés vers nous. Dans ces temps troublés où l’on nous parle de choisir les immigrants qui seraient autorisés à venir sur notre sol, il est important que nous continuions à venir en aide à ces patients adultes mais aussi aux trop nombreux enfants, qui n’ont pas choisi la terreur, qui n’ont pas choisi d’assister à des massacres, qui n’ont pas choisi de devoir s’exiler ou qui ont dû suivre leurs parents en exil.
L’exil n’est malheureusement dans la grande majorité des cas, pour nos patients, adultes ou enfants que LA solution de la vie. Il est de plus quasiment toujours sans espoir de retour. Il y a un travail de deuil à faire avec ces familles.
⇒ Ce que le médecin thérapeute familial peut offrir aux patients ?
√ Comme médecin : des soins médicaux
Les soins médicaux, compris dans le sens global de soins, et non pas seulement de traitement au coup par coup de symptômes seulement « organiques », soins où l’approche de la souffrance psychique prend toute sa place, sont une nécessité, particulièrement dans le soin des victimes de torture.
Dans le cas des victimes de tortures et d’atteintes aux Droits Humains, ce qui peut parfois être vécu comme deux pôles distincts doit impérativement être pris en compte simultanément. Le tout médical étant aussi restrictif que le tout psychothérapeutique. Le corps devient pour le médecin-thérapeute un média privilégié pour aborder l’indicible, pour approcher le traumatisme et par là, entamer une réparation. Pouvoir prendre en compte la souffrance d’un corps, sans « faire mal » c’est déjà une expérience nouvelle pour une victime de l’horreur de la torture prise au sens large du terme.
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Une partie de l’humiliation qui est collée, depuis la torture, au corps en ce qu’il représente le lieu où se sont concentrées les souffrances, est gommée par le côté médical des soins. Il est possible de parler, de montrer, de se faire aider sans devoir s’abaisser. Redevenir un « patient » comme avant peut être très apaisant et il est au début plus facile de parler de ses douleurs pelviennes ou de ses hémorroïdes que de parler du viol.
De plus, la faculté de prescrire des traitements, qu’ils soient médicamenteux ou de kinésithérapie permet de soulager rapidement certains symptômes, de faire vivre un soulagement qui ne semblait plus possible, ni même imaginable. La chimiothérapie médicamenteuse adaptée permet de proposer un apaisement des manifestations douloureuses que sont les insomnies, les cauchemars, les céphalées, les douleurs articulaires, etc. Il devient alors possible de dégager une place pour le travail psychothérapeutique, un moment de respiration non-entravée.
Le rôle du médecin, au-delà du soin, est aussi de permettre un « déconditionnement », d’autoriser un certain « désenseignement » de ce que le traumatisme a appris de façon brutale. Le soin médical, compris au sens large de la médecine, disons au sens princeps, est d’abord et avant tout l’endroit où se retrouve le sentiment d’appartenir à l’humanité, de l’expérimenter à nouveau.
L’expérience vécue que, sans jugement, sans sectarisme, en confiance, il est possible de se confier, de se faire ausculter, examiner dans l’unique but d’un mieux être est primordiale. Le corps n’est plus un lieu de souffrance mais un lieu de réparation.
Comme psychothérapeute et thérapeute familial √ Thérapie familiale Un ami, rencontré en Guinée, s’exprimait ainsi lors d’une visite récente au Centre de Soins : « J’ai été agréablement impressionné par ce que vous faites désormais, à savoir qu’on s’occupe de « nous autres » désormais aussi. Oui, « nous autres » proches de ceux qui ont subi directement les sévices. (…)Nous aussi qui, en dehors des prisons, y avions une bonne partie de nos pensées (…) Offrir à des familles des thérapies collectives relève à mon sens d’une volonté certaine de susciter plus d’humanité à travers ceux qui en ont été privé. (…) Expulsion de logement, d’établissements scolaires, « pariatisations » familiales, et bien d’autres difficultés qu’on du subir les proches de ceux qui étaient partis dans les geôles. Et que dire de ce retour pour les « plus heureux » et qui ont pu sortir avec la difficile réinsertion avec ceux qui ont appris à vivre sans un père ou qui attendaient tout de lui sans qu’il puisse être à la hauteur désormais, et j’en passe ».
L’approche systémique m’a permis de penser autrement ce qui était une curieuse constante dans le discours des travailleur sociaux à propos des proches d’un patient qu’ils nous adressaient : « L’épouse ne pose pas de problèmes, elle est très discrète, on ne l’entend pas quant aux enfants, ils vont très bien, ils sont très investis à l’école et ont d’ailleurs de bons résultats scolaires ».
Recevoir l’ensemble de la famille permet de découvrir que le vécu émotionnel de la femme et des enfants était bien souvent éloigné de cette image rassurante.
Le demandeur d’asile ou le réfugié porte souvent seul le statut de « victime » et les autres membres de la famille, même s’ils ont été aussi, comme c’est souvent le cas, eux-mêmes, victimes de harcèlement, de sévices, voire de torture se taisent. Combien de parents m’ont raconté leur arrestation brutale, accompagnée de sévices, de viols contre l’épouse, avec l’assurance que les enfants « n’avaient rien vu », rien subi. Et puis au détour d’un entretien « seul à seul » dérobé au thérapeute, on découvre que les enfants savaient, ont vu, entendu, que l’épouse a été persécutée pendant toute l’incarcération du mari. Chacun se tait pour protéger l’autre, persuadé que sa souffrance n’est pas « à la hauteur » de celle du martyr reconnu. Comment ajouter sur SES épaules le fardeau de mes problèmes ? Comment ne pas lui dire que c’est par SA faute que tout cela nous est arrivé ? décidément la torture fait bien taire !
De fait, la structure familiale est disloquée. Les parents ne se sentent plus des hommes, plus des femmes. Ils ne se croient plus capables d’être parents. La vie amoureuse du couple est elle aussi exsangue : les images, souvenirs ou fantasmes, du corps supplicié de l’autre ou du sien propre, dénaturé, parasitent la sexualité. L’exil et les conditions précaires d’existence en France ajoutent à ce tableau une déchéance sociale difficile à supporter. Les enfants sont exposés à ces états douloureux de leurs parents qui sont source de plusieurs formes de victimisation.
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Le rire des enfants exprime une joie de vivre indécente : tant d’autres n’ont pu survivre. Les pleurs des plus petits sont intolérables : il y a déjà eu assez de souffrance. Les risques de maltraitance physique sont réels dans ce contexte. Pleurs, cris renvoient inexorablement à ce qui a été entendu en prison. A ses propres cris, ses effondrements.
Dans le cadre d’une thérapie familiale, il est possible de restituer à chacun une place aussi positive que possible et correspondant à l’âge et au rang généalogique. Les souffrances, la détresse, les sentiments d’abandon peuvent également se parler sans que les enfants ou le conjoint ne soient exposés à la violence des faits. La parole peut être libérée et la famille intégrer progressivement les traumatismes. La thérapie familiale devient un lieu de thérapie de reconstruction.

Docteur Pierre Duterte Médecin directeur du centre de santé Parcours d’exil Psychothérapeute – Thérapeute familial
Auteur de « Terres inhumaines » un médecin face à la torture, préface de Maître Robert Badinter. Editions JC Lattès

Mineurs Isolés Etrangers et Thérapie familiale publié par l’EFTA (european family therapy association)

Thérapie familiale chez les mineurs isolés étrangers… ? une impossibilité, un paradoxe, une solution ?

Les Mineurs Isolés Etrangers (MIE), peuvent paraître du fait de leur statut d’isolé comme peu quali-fiés pour une thérapie familiale, mais ils ont eu le plus souvent, avant de se retrouver seuls en France et, malgré leur jeune âge, vu périr leur famille, Ils ont pour la plupart été victimes d’insoutenables vio-lences, ils ont parfois été amenés à faire la guerre à 7, 10 ou 15 ans. Même les MIE missionnés par leur famille, pour « venir » travailler en France, ne peuvent vivre cet « exil » comme un voyage, comme un séjour. Me revient toujours à l’esprit ce jeune chinois, pour qui j’avais dû insister auprès de « l’équipe éducatrice » pour le recevoir, devant une tristesse profonde que je ressentais en le croisant dans la cour du foyer où il était hébergé. Ceux qui l’avaient en charge n’en voyait pas l’utilité « car il ne posait pas de problèmes) il savait pourquoi il était là, pour travailler ».
Peu de temps après le début de la première consultation le voilà qui me déclare « j’étais gentil pour-tant !». Intrigué je lui demande de m’expliquer ce qu’il voulait à l’évidence me dire par là ! « Pourquoi mes parents m’ont jeté comme une poubelle, ça je ne comprends pas ! » et le voilà qui s’effondre. Il était certes missionné, en effet il savait pour quelle raison il était là, il était aisé de croire, (rassurant ?) de penser qu’il n’avait pas été maltraité mais il souffrait intensément.

L’importance pour moi est, comme le montre la situation de ce jeune homme, le constat quel lorsqu’on parle de MIE, l’on parle de victimes ! On ne peut pas être mineur ou même jeune majeur être seul et sans difficulté psychique, sans parler des autres.
C’est ce passage du jour des 18 ans qui est souvent (et dramatiquement à mes yeux), vécu comme une terreur par un jeune pris en soins en France, assimilé au jour où il va, une fois encore, « être je-té ». Comme si un jour vous êtes mineur et donc avez droit à une protection, le lendemain jour de vos 18 ans, vous êtes majeur donc « beaucoup plus grand dans votre tête ! ». Il me semble absurde de croire, ou même de feindre de croire qu’en termes psychologiques, il y a des caps aussi tranchés. La maturation traumatique ne touche pas tout le monde de la même façon. Même en reprenant l’image de Ferenczi, du fruit piqué par un oiseau, tous les fruits piqués ne changent pas à la même vitesse.

Etre mineur isolé, c’est-à-dire être mineur, sans sa famille, (quelles que soient les nuances à apporter au terme “ famille ”) et à l’étranger, par rapport à son pays d’origine. Tous ces termes réunis font le lit d’une histoire, peut être pas systématiquement traumatique, mais douloureuse, et dans mon expé-rience, particulièrement tragique et insoutenable.
On m’objecte parfois que tous ne sont pas isolés, qu’ils ont de la famille en France, qu’ils ont quel-qu’un à qui ils téléphonent, qu’on se demande si tout cela n’est pas que manipulation pour les faire prendre en charge etc etc… Et même si…. une famille qui pour quelque raison que ce soit, de la meil-leure (moins mauvaise) à la pire, vous laisse seul vous débrouiller dans le système de « protection de l’Enfance » n’est-ce pas une famille « traumatisante » ? C’est à minima une famille qui fait défaut au moment présent.
Parfois le fait de faire défaut peut être lié à différentes causes. Ce défaut peut être de toute sorte de nature : la guerre, qui a fait que les parents sont morts ou ont disparu, le défaut de fonctionnement de la famille qui a fait que celle-ci n’a pas vu à un moment donné d’inconvénient à ce qu’un enfant quitte le pays avec quelqu’un plus ou moins de confiance ; la disparition de membres de la famille, ou comme ce jeune Sri Lankais reçu il y a quelques mois les deux : une partie de sa nombreuse famille avait été tuée par la guérilla, le reste (moins deux enfants, dont lui) par le tsunami ! J’entends souvent parler de ces « situations » comme une espèce de fatalité liée à un état socio-économique, mais si tous les parents de tous les pays où l’on ne mange pas à sa faim, où le travail n’est pas assez rému-nérateur envoyaient leurs enfants à l’étranger, cela se saurait ! et combien émigreraient de France vers un autre « Eldorado ».

Par définition pour moi, ce sont des situations qui poussent à se questionner sur la nature de cette famille, et le vécu de l’enfant dans cette famille là, la globalisation n’est pas de mise ici.
Et puis le fait qu’ils soient étrangers, n’implique pas n’importe quel éloignement de la famille. Certains enfants quittent leur famille à l’intérieur du territoire, restent en famille au sens large, mais les enfants ou adolescents que je reçois sont éloignés de leur famille et de leur milieu de 500 à 5000 kilomètres, voire plus, et savent qu’il n’y a pas de retour possible sans mettre en jeu leur vie !

Il est donc possible, pour moi indispensable, de penser que la situation de Mineur isolé est systéma-tiquement traumatique parce que le fait d’être mineur ou très jeune majeur met ces jeunes gens dans une situation de vulnérabilité qui les expose à très haut taux aux traumatismes, et les mets dans une situation où il ne peuvent être « tranquille », obligés sans cesse qu’ils sont de veiller à se protéger, de se méfier de tout, d’être responsables, de ne jamais pouvoir souffler.

Outre toutes les situations de maltraitance qui se traduisent par la fuite de l’enfant ou par le projet de se servir de l’enfant comme d’une tirelire parce que l’on pense qu’il pourra procurer des revenus une fois à l’étranger, il y a aussi les sévices, les tortures endurés par le père, la mère ou les deux, par les mineurs, toutes ces horreurs qui hantent leur séjour en France.

Une thérapie familiale mais avec quelle famille ?

Par le biais de ce qui représente la famille au sens le plus large, au sens que certains MIE ont compris quand, même face à l’effroi pudibond ou dogmatique de certains éducateurs ou thérapeute, ils en viennent à demander à être autorisés à appeler leur thérapeute « tonton » ou leur éducatrice « maman » ou plus simplement les intitulent-ils ainsi tranquillement dans le répertoire de leur portable. Combien n’ai-je pas entendu de jeune conter avec surprise les réactions parfois violentes de la per-sonne en face d’eux qui s’entend appeler de ce qualificatif qui après tout n’avait pas le même sens « chez eux » que chez nous. Et qui pourtant vient donner une connotation protectrice à des institu-tions qui parfois ne le sont pas ! un mineur s’est vu remettre en place par son éducatrice quand il de-mandait un rendez-vous avec moi « mais qu’est ce qu’il te fait donc pour que tu veuilles ainsi aller le voir si souvent ?… c’est quand même pas ton père !» A cette étrange conception de la relation d’aide ce gamin brillant devait répondre « disons que je vais voir mon beau-père ! ». Pour avoir le dernier mot, que ce gamin lui laissa bien volontiers et avec raison,… l’éducatrice devait ajouter « tu verras lui aussi, il te laissera tomber ! ». Rester pantois ou faire un signalement devant une telle « maltraitance ? ».

Une « famille » qui peut être formée par un réseau composé des intervenants sociaux de l’Aide So-ciale à l’Enfance, la famille d’accueil, ou les éducateurs référents ou « choisis » comme tels par le mineur. Ces personnes devenant peu ou prou, volontiers ou à leur corps défendant, des « substituts parentaux », au moins des personnes qui portent la responsabilité de faire « grandir » un ou une jeune en difficulté.

Ce n’est pas toujours situation aisée, elle l’est d’autant moins que si le traumatisme atteint, bouleverse à celui qui l’a vécu et qui se sent « hanté » par lui et par ses conséquences, il peut aussi bouleverser ceux qui en reçoivent le récit. Le traumatisme structure tous les êtres humains: c’est à dire qu’après un traumatisme, il n’est plus possible de vivre sur les « repères d’avant ». C’est le traumatisme qui crée les nouveaux jalons ; c’est la nouvelle expérience de référence par rapport à laquelle l’on fonc-tionne. Chez les enfants, ce constat est encore bien plus puissant
Car l’adulte a eu le temps de se forger une personnalité avant le traumatisme, même s’il y a eu un aménagement autour du traumatisme, une traduction, des sublimations de tous ces événements mis bout à bout qui se sont passées et qui ont abouti à la personnalité de l’adulte. Il y a des choses qui resteront inchangées toute la vie, imprimées, mais heureusement d’autres qui pourront évoluer selon les circonstances.
Chez les enfants, les adolescents, la traduction du traumatisme ne passe pas par les filtres multiples qui ont forgé la personnalité de l’adulte. La traduction est beaucoup moins complexe, beaucoup plus directe. Il y a un lien qui peut paraître simpliste mais qui existe entre les comportements, les dires et les attitudes des enfants et leurs expériences vécues. C’est une réalité parfois difficile à entendre parce que cela nous met tous en cause finalement car on a tous été enfant, parfois parent, mais c’est vrai que l’enfant se construit par rapport à ses références. Et quand il y a une expérience aussi puis-sante que le traumatisme, elle va avoir un effet très fort sur les comportements, les attitudes, les croyances de l’enfant.
Revers de la médaille, j’ai toujours comme exemple celui de la pâte à modeler. On n’en trouve plus guère comme celle que mes parents me donnaient, en bâton de différentes couleurs, réunis en forme de cube. Au début, sortie de l’emballage, elle était souple malléable. Après un moment d’utilisation elle avait tendance à durcir, à se rigidifier… à ne plus supporter les déformations, à perdre des mor-ceaux, à ne pas vouloir se recoller.
Je suis convaincu que l’on peut comparer les capacités plastiques du psychisme de ces jeunes gens à la pâte à modeler. Je n’ai jamais vu un adulte récupérer ad integrum de la torture, (comme j’aime à le dire on ne traverse pas à pieds une rivière sans ressortir mouillé, et même séché il reste toujours un peu de poussière) j’ai vu une grande majorité de ces jeunes garçons et filles se redresser, se remettre en route, réussir. On a eu beau taper fortement sur le bloc de pâte à modeler, on a pu l’écraser, l’aplatir, il est possible si on s’y prend avec soins, avec soins, de redonner la forme quasi originelle à l’ensemble, la couleur est un peu mélangée certes, mais la forme est redevenu celle d’origine. Chez les adultes c’est beaucoup moins évident. Les coups ont fait sauter, se détacher des fragments durcis, plus ou moins importants. La partie plus malléable se reforme, se remet en forme, mais on n’arrive pas à réintégrer les petits ou les gros fragments qui ont été brisés, détachés. Les séquelles sont plus évidentes, plus gênantes. Contrairement à ce que certains déclarent, je suis convaincu que l’on ne peut guérir de la torture, des traumatismes graves, au sens médical du terme . Je suis par contre tout aussi convaincu que l’on peut consolider, toujours au sens médical du terme les séquelles laissées par cette effroyable machine à déstructurer. Bien sûr, même chez les jeunes que nous recevons l’étendue des séquelles est variable, le mélange des couleurs de la pâte à modeler est plus ou moins marqué, mais la plasticité est là. C’est un formidable gage d’espoir .

Le constat que la modification de la modification de l’état psychique d’un membre de la famille retentit sur le système familial est très puissant dans le cas de traumatisme et vient parfaitement s’appliquer à ce que l’on peut appeler la thérapie de réseau. Ce que j’essaie de faire avec ce qui peut sembler être un assemblage familial hétéroclite, qui n’aurait de familial en apparence que le nom, est de débloquer une situation en proposant une alternative au scénario écrit, accepté voire… habituel. Essayer de sortir du système n’est pas simple en thérapie familiale, il est parfois encore beaucoup plus compliqué en thérapie de réseau tant les résistances institutionnelles peuvent parfois être grandes ou vécues comme des mises en accusation ! tant les comportements des uns et des autres n’ont pas « bénéficié » de l’adaptation proposée par la vie ensemble sur des années.

Il n’y a d’ailleurs pas que l’institution qui se sente mise en accusation, le ou la mineur(e) peut parfois, de par sa simple appartenance « ethnique » se sentir accusé(e). un exemple : ce que j’ai vécu avec les enfants de Sierra Leone, du Nigeria, ou du Liberia et qui a été ma première rencontre avec des mineurs enfants soldats ou ayant vécu des exactions pires que tout ce que j’avais entendu jusque là. Je pensais après 4 ou 5 ans de soins aux victimes de torture, avoir touché le fond des récits horribles. C’était vrai jusqu’à l’arrivée de ces adolescents martyrisés au-delà de tout. J’ai vraiment été contraint de dégringoler encore un « paquet de marches ». rendre acteur des enfants d’horreurs insoutenables est à mon sens un des pires crimes contre l’Humanité. C’est une insondable violence qui leur est faite. Je me souviens de l’effet que me firent les propos de ce mineur qui avait tué à maintes reprises quand il me déclara « c’est seulement en te rencontrant que j’ai compris que ce que k’avais fait n’etaitpas bien ». ce jour là j’ai compris que parfois l’acte thérapeutique pouvait se résumer à un « désenseignement ».
Comment ne pas vouloir « désenseigner » quand ce qui a été appris relève de l’absurdité pure et sim-ple comme de vouloir transformer un enfant en soldat !
La place de l’enfant est constamment foulée aux pieds dans le monde moderne, sur fond de discours solennels sur la fin de l’esclavage, de respects des droits de l’enfant, d’égalité des chances, d’éduca-tion pour tous, de démocratisation par Internet et j’en passe. J’ai croisé beaucoup d’enfants qui avaient souffert au-delà de tout d’avoir été mis à une place impensable : celle de soldats.
Ce drame est venu s’imposer il y a une dizaine d’année quand sont arrivés les enfants de Sierra Léone. Ils avaient certes vécu le drame d’avoir été enrôlés, utilisés, mais, pour tous ceux que nous avons reçus, ils avaient vécu l’expérience « initiatique » d’être confrontés à la violence dans ce qu’elle doit avoir de plus absolu. Contraints qu’ils avaient été, sous menace de mort d’assister qui au viol de sa mère, de ses soeurs, à l’amputation sauvage de bras de jambes de ses frères, sœurs ou voisins, au massacre de toute la famille et j’en passe, sachant ce que les mots peuvent faire mal. Un des jeu-nes patients, parmi les plus éprouvés; avait été contraint de jouer au football avec la tête tranchée de son père.
Pareils « spectacles » transforment ces adolescents en témoins impuissants. Toute réaction, aussi dérisoire soit-elle, les mettrait immédiatement en danger de mort, l’inimaginable colère qu’ils emmaga-sinent fait le lit de la violence, de l’identification à l’agresseur.
Comment imaginer qu’il existe aujourd’hui encore des adultes capables de « donner cet exemple »? capables de mettre des kalachnikovs dans des mains d’enfants, et de leur faire croire qu’un gri-gri, qu’une piqûre ou qu’une cigarette magique les rendra invincibles. Comment ces gamins peuvent en-core croire que le rôle de l’adulte est de protéger, de donner les règles? Certains avaient été au com-bat à 8 ans, ils avaient été nommés « sergent chef » à 11 ans parce que les autres avaient 9 ans.
Les médias ont diffusé de nombreuses images d’enfants combattants ; ils n’ont montré souvent que des regards durs, des mains trop petites pour les AK 47 ou les machettes, vignettes du pittoresque atroce dont l’époque est friande, mais il est frappant que l’on ne montre que des enfants noirs.
Comment ne pas penser aux enfants colombiens embrigadés par les FARC? Mais aussi pourquoi ne pas balayer devant nos portes, si près de chez nous? Pas seulement en se rappelant ces images terribles d’un Hitler, qui, sortant un instant de son bunker, quasiment sans plus d’armées, pinçait « paternellement » la joue d’un gamin de Berlin en feu pour lui faire croire qu’il pourrait par son combat sauver le IIIe Reich de l’abîme. Mais aussi en pensant aux enfants utilisés en Irlande du Nord, il y a peu, ou en se révoltant du fait qu’il y a 15 mineurs britanniques envoyés combattre en Irak depuis 2003 et parmi eux quatre filles, en dépit de la ratification par la Grande-Bretagne d’un protocole de l’ONU sur les enfants-soldats.
Que l’enfant soit anglais, irlandais, arabe, tchétchène ou africain, il est d’abord un enfant. Son monde a été détruit et son psychisme cabossé en même temps.
Pour moi le psychisme de l’enfant est un peu comme de la pâte à modeler: quand elle est « jeune » un coup l’écrase certes, mais que cette plasticité qui la rend si malléable permet AUSSI toutes les re-constructions.

La thérapie oui, la thérapie familiale de réseau, sans aucun doute mais convaincu que la thérapie ne passe pas que par le « thérapeutique pur et dur » mais aussi par tout ce qui est thérapeutique « sans le savoir… » nous essayons d’organiser régulièrement des auditions de concerts, des sorties à thè-mes, des visites dans les musées, moments ludiques, instructifs, de découvertes. Se soigner sans le savoir, merci Monsieur Jourdain.
Au retour d’une visite au musée des Arts Africains, de jeunes patients sierra-léonais étaient radieux. « C’était formidable, génial, extraordinaire… » devant cet enthousiasme je leur demandais (assez stupidement je le reconnais) si c’était si intéressant parce qu’ils avaient vu des objets qu’ils connais-saient, qui leur « parlaient »?
-oh non pas du tout on n’a jamais vu ce qui est exposé, on n’a jamais vu cela en Sierra Léone, à part peut-être un petit chien couvert de clous ! Mais c’est la première fois depuis qu’on est en France que l’on voit le nom de notre pays accolé à quelque chose correspondant à une mise en valeur, à quelque chose de « beau ».
Avant cet « événement » chaque fois qu’on parlait de leur pays, c’était en termes d’enfants-guerriers, de prostitution, ou de “ manches courtes et manches longues ” référence à la hauteur à laquelle les bras allaient être coupés. Leur pays réduit pour eux, mais aussi et surtout pour ceux chargés de les soutenir » à des images d’horreur absolue.
Le changement c’était le beau, c’était le fait que la Sierra Léone n’était plus rétrécie à la seule guerre qu’elle traversait mais s’élargissait aussi à une culture riche, une culture qui avait des siècles. Qu’elle ne se limitait plus à une histoire, mais entrait dans le cadre élargi de l’Histoire. La culture de ce pays ne pouvait se résumer à quelques années de guerre civile aussi atroce et insoutenable soit-elle !
Etre Sierra Léonais, Nigérian, ou du Libérien n’était plus, de par la magie de cette exposition, une accusation en soi.

Pour le médecin que je suis, comparer leu potentiel de réparation physique, apprend aussi qu’une blessure psychique correctement traitée peut se réparer beaucoup plus vite qu’une blessure laissée à l’abandon.
C’est ce qui fait qu’à l’inverse je ne peux qu’être particulièrement inquiet quant au devenir de ces jeu-nes laissés tout seuls, sans je dirais « soutien humain ». Je n’aime pas trop l’expression, mais elle est très évocatrice de ce que j’imagine : sans un soutien spécifique et approprié, ces adolescent(e)s de-viennent pour moi pareils à des grenades dégoupillées qui peuvent très bien tenir quelques années. On en voit qui réussissent tout de même à s’adapter, mais qui risquent, à tout moment, parfois le plus imprévisible, d’exploser, comme explose la mine enfouie, qui n’explosera que lorsque l’on marchera dessus, parfois au moment le plus inattendu, conséquence d’un évènement qui semblera anodin à l’éducateur, à l’intervenant social mais qui viendra pour cet adolescent(e) s’arrimer de façon plus ou moins compréhensible au vaisseau extraterrestre de l’horreur. La thérapie de réseau trouve là toute sa place, son efficacité quand elle permet de faire le lien entre l’événement anodin et « lacte posé » mais surtout quand elle fait le lien entre l’enfant, les intervenants, le thérapeute !

Ceci amène, d’un point de vue psychique, à considérer que le principal enjeu, dans un premier temps est la structuration. Ce que ces interventions de thérapie familiale de réseau vont permettre est bien de déconditionner par rapport aux expériences traumatiques, et donc de leur donner un cours diffé-rent. C’est aussi de faire comprendre aux intervenants, à la famille d’accueil que, par exemple, les colères brutales, les comportements étranges, ne sont pas aussi « déplacés » que cela mais font bien sens. Un sens qui nous est étranger, mais qui est une évidence pour le psychisme, conscient ou pas de ce mineur isolé et étranger. Étranger à ce qui est état de Droit, mais aussi état de devoirs !

On voit comme le danger est la non-intervention, ou les interventions qui échouent. Alors, l’expérience traumatique va fonctionner comme modèle structurant de la personnalité, va être conforté comme étant une « réalité » un état auquel on ne peut échapper et dans ce cas tout devient, tout est possible, même le pire de nouveau.

Il est important de garder en mémoire comme le dit clairement et concisément Sandor Ferenczi : “ Le choc est équivalent à l’anéantissement du sentiment de soi, de la capacité de résister, d’agir et de penser en vue de défendre le soi propre”.
Définition simple, mais où tout est inclus : la personnalité du sujet n’a plus d’utilité face à l’événement. Pour l’enfant (comme d’ailleurs pour l’adulte), tout ce qui a permis de fonctionner, de s’adapter par aux colères des parents, aux ennuis de la vie quotidienne, devient caduc face à cet événement majeur, incroyable… sidérant. Les ressources personnelles sont devenues absolument inefficaces et annulent ce sentiment d’être quelqu’un.
C’est à ce moment que les traumatismes, quel qu’ils soient, physiques ou psychiques ont à voir avec la mort. Qu’ils font côtoyer la victime avec cet effroi. Car si la mort physique n’est pas au rendez-vous, la mort psychique est là, tout près.
Un acte qui présuppose que la victime n’a pas de volonté, de désir propre et, finalement, d’existence en tant que personne, est une menace de mort. Il n’est pas obligatoire d’avoir été atteint physique-ment pour approcher d’aussi près la mort, S’il paraît évident qu’être violé est un traumatisme à la fois physique et psychique, il est facilement concevable, pour ne pas dire évident qu’assister à un viol est aussi un traumatisme psychique même si le physique n’est pas touché.
Pour les jeunes qui nous occupent, assister à un massacre, même s’il n’y a pas un des agresseurs qui n’ai touché à un cheveu de l’enfant, c’est quand même un traumatisme psychique. Tout comme peut l’être celui de devoir porter des rockets à ceux du front, à aller au front et à n’avoir pour seul façon de survivre que de tuer !

Un exemple simple de ces mines qui explosent sans le savoir, sans que l’autre et parfois même le patient lui-même ne fasse le lien. Dans un champ de mines par définition, personne ne sait où celles-ci sont enterrées, ni la personne qui marche, ni les autres qui la regardent marcher : j’ai longtemps accompagné un jeune patient que plusieurs fois j’ai dû aller voir à l’hôpital car il avait été renversé par des voitures, à un carrefour. Il avait traversé sans regarder. Une hypothèse facile et idiote (même si elle fut suggérée par un des intervenants qui s’en occupait au foyer…) « forcément il n’y a pas de feux rouges dans son pays ». Une réalité : ce jeune homme avait été violé en prison « malgré » son jeune age… lors des viols, les tortionnaires allumaient une lampe rouge pour signaler qu’ils étaient « au travail ». pour échapper à la folie de l’instant, le psychisme se concentrait sur la lumière rouge… C’était ce qui se passait au moment du traumatisme. Une fois celui-ci passé, une fois arrivé en France, dans un deuxième temps, ce mécanisme dissociatif allait continuer à être actif, ce patient continuait à recourir à cette protection à ce mécanisme qui avait été un mécanisme de survie, et ce, à chaque fois qu’il se sentait de nouveau exposée au danger, au feu rouge… celui-ci acquérant en France un tout autre effet protecteur !
Chaque fois qu’il voyait un feu rouge, il était renvoyé à son expérience traumatique et donc il se redis-sociait. Il avait de nouveau recours au mécanisme qui lui avait été utile la première fois.
Ce qui était mécanisme de défense devenant symptôme et devenant présent après le traumatisme, et restant actif…sans prise en soins, quelques mois, quelques années, voire toute la vie. Le feu rouge était devenu « mine », et la vie minée quotidiennement le patient ne la voyant pas avant qu’elle n’explose, ce patient ne la voyait pas non plus après l’explosion et donc se retrouvait à l’hôpital se voyant enjoindre par ses éducateurs « de faire attention ».
Autre terrain miné, celui qui est nourri de l’identification à l’agresseur. Cette protection qui rend la vic-time acteur tant soi peu de son destin. Accepter l’image que le tortionnaire a de vous c’est se retrou-ver amené à finir le travail, d’où les actes qui vont de « se faire mal » au suicide réussi, avec tous les intermédiaires : conduites addictives, suicidaires, automutilations, tentatives de suicide, ou même comme m’expliquait un jeune patient : “ quand je ne suis pas bien, je ferme les yeux et je traverse la rue ”… jeux dangereux, défi, test ? cela l’amenait régulièrement à se faire copieusement invectiver par des chauffeurs, par ses éducateurs, ce dont il se plaignait ne comprenant pas qu’ils ne comprenaient pas ! ça l’a amené aussi 3 ou 4 fois aux urgences de l’hôpital !
Cette identification à l’agresseur peut amener à des conduites dangereuses voire délinquantes, la victime alors se pare du masque de l’agresseur. Et souvent ce qui motive la demande de consultation est ce coté « sale gosse » pour le moins qui exaspère tant les éducateurs

L’horreur même de ce qui a été commis confère parfois une puissance extraordinaire aux agresseurs. Très souvent ils ne parviennent pas à les nommer quand ils les connaissent. Quelques patients, rares, sont parvenus à donner le nom de leurs tortionnaires, en particulier des tortionnaires femmes de Gui-née. Mais la crainte que ce simple nom inspirait se lisait dans leurs yeux « c’était quand même des mamans ». une jeune femme m’expliquant qu’elle avait « même été torturée par des tortionnaires femmes, du sexe masculin !!!! » Qu’il est difficile d’accepter qu’on a croisé une vision du diable ! il est exceptionnel que les patients puissent décrire autrement que de façon fragmentée leurs agresseur. Alors quant à le nommer c’est déjà l’invoquer… quand elles connaissent le nom de leur agresseur, ne peuvent pas le dire parce que c’est déjà lui redonner la présence auprès d’elles. Mais ainsi il n’est plus possible de jamais retourner la violence contre l’agresseur ni d’obtenir justice.
Il est clair que ces jeunes n’obtiendront jamais justice contre l’agresseur réel, que dire des enfants soldats ? comment obtenir réparation de celui qui vous a envoyé au front alors qu’il était celui qui sa-vait ! alors qu’il est actuellement au pouvoir ! Ils ne verront jamais sur le banc des accusés leurs agresseurs, ni ces adultes qui ont si lamentablement jeté aux orties le rôle protecteur des adultes. Jamais ils n’entendront que ce qu’ils ont subi était abject, injuste ! la reconnaissance possible du sta-tut de réfugié ne peut être qu’un pale édulcorant d’un procès. C’est tout juste le versant « victime » qui est reconnu, seulement une hypothétique reconnaissance peut être trouvée dans cette décision. Cer-tainement pas une réparation. Jamais leur agresseur ne sera sanctionné.

Recréer une « famille » dans la cabinet de thérapie c’est un peu essayer de réparer une enveloppe protectrice déchirée, c’est tenter de refermer une porte de l’enfer. Essayer de la repousser est sûre-ment déjà mieux (moins mal) que de la laisser grande ouverte !
Essayer de refermer cette porte c’est par exemple expliquer à tout le « réseau », jeune patient com-pris, que l’identification à l’agresseur se déplace sur des adversaires beaucoup moins dangereux tels le ou la référent(e) de l’Aide Sociale à l’Enfance, l’éducateur, le directeur du foyer, l’enseignant ! que dire de l’OFPRA ! quel ennemi parfait non seulement il fait un travail qui oblige à revisiter son drame, mais en plus il représente l’autorité celui qui s’appelle Officier de protection !
Combien de fois n’ai-je entendu dans le foyer de mineurs où j’intervenais : « les éducateurs ne nous aiment pas, il ne font cela que pour l’argent ils s’en fichent complètement de nous, ils nous maltrai-tent ». Ferenczi appelle cela une falsification optimiste c’est-à-dire que l’enfant se dit : “ les éducateurs me maltraitent parce qu’ils ne me respectent pas, parce qu’ils ne m’aiment pas, parce que je ne suis rien d’autre pour eux qu’un objet, que je justifie leur salaire ”. C’est insupportable, un enfant ne peut pas grandir avec une idée pareille, même dans un foyer, ce n’est pas possible. Une solution est donc de falsifier de façon optimiste la réalité en se disant « ils font ça pour mon bien, pour m’apprendre, pour m’éduquer». Et combien de fois réapparaissent des images de parents « sévères » pour mon bien, d’enfants « élevés à la dure ». c’est pour notre bien !
Expliquer cela lors d’une thérapie de réseau, c’est aborder le cheminement étroit qui fait que plus on est gentil plus on est « mieux que les parents d’origine » plus c’est insupportable… cela ne veut pas dire qu’ils soient condamnés à être frappés pour croire qu’ils comptent pour quelqu’un !!
Le chemin étroit offre son autre versant tout aussi dangereux : le moment où on leur propose un autre mode de réaction entraîne souvent une crise du fait de la démonstration que ce qu’ils ont enduré n’était pas normal !!!
Le miroir du même chemin est tourné également vers les éducateurs et encore plus violemment vers les familles d’accueil qui se croient dans une impasse et vient justifier ces thérapies de réseaux. Séances où l’on essaie de faire tourner les différents rouages dans un sens commun à tous, ce qui donne de bien meilleurs résultats que de se concentrer à faire des efforts pour forcer un rouage à bouger en espérant que les autres « vont suivre ».
Expliquer à des éducateurs, des familles d’accueil, ou à tout autre intervenant que ces mineur(e)s ont, en tant que mineur(e)s traversés des guerres, ont survécus, ont réussi à fuir, à arriver à des milliers de kilomètres de chez eux, à survivre et à se retrouver dans nos villes inconnues pour eux, aux codes parfois étranges ! et qu’il n’est pas simple de vouloir les traiter comme des mineur(e)s qu’ils ou elles sont, mais avec un vécu qui n’a rien à voir avec la minorité ; que par exemple leur proposer des sta-ges d’autonomisation peut avoir un côté «pour le moins déplacé. D’autant plus à côté de la plaque qu’il ne leur aura pas été redonné psychiquement leur place d’enfant, comment se comporter en en-fant quand on a pas eu de place d’enfant. Pour moi thérapeute quel plaisir de voir ces faux adultes « régresser » vers un comportement d’adolescent, réinvestir leur place d’adolescent.
La contradiction se situe souvent dans le fait de leur donner en même temps une place d’enfant qu’ils ne connaissent pas et une place d’adulte qui n’est que maturation post-traumatique. Étant capables de faire un certain nombre de démarches, de gérer eux-mêmes leur argent, de s’habiller, ils sont contraints, ne peuvent vivre autrement cette protection légitime par exemple de la part de l’éducateur, que comme une brimade et un déni de leur vécu. Ils ont fait 5000 kilomètres ou plus pour arriver dans ce foyer de banlieue et on leur interdit d’aller faire leurs courses seuls à Paris. Quel monde extraordi-naire quand même !

Ils se retrouvent également revictimisés par le simple fait que de façon pragmatique il est proposé par exemple à un jeune homme brillant, un « choix » entre un CAP de maçon ou de carreleur alors qu’à la question qu’est ce que tu voudrais faire, exprime ton choix… il avait répondu archéologue ! même s’il m’arrive de trouver beaucoup plus sain que devant un tel non-choix devant un tel décalage entre la demande et la « réponse » ils se fâchent. En effet comment ne pas craindre pour l’avenir d’un adoles-cent qui, formaté par les expériences traumatiques, accepte sans broncher, de renoncer à ses compé-tences, à ses désirs, à ses rêves ! Que dire de la hargne de cet adolescent qui voulait être archéolo-gue et a qui fut proposé un stage de carreleur « c’est pareil tu es à genoux et tu grattes le sol !!!

L’incompréhension qui vous retransforme en victime associée au fait qu’ils n’existent que comme vic-times peut vite devenir un cocktail particulièrement explosif ! ils ne peuvent dans tout leur trajet en France exister que comme victimes, mais qui dit demande d’asile, qui dit mineur arrivant sur le sol français dit présomption de mensonge. Contrôle de l’âge par ces examens grotesques de détermina-tion de l’age osseux (c’est un vaste sujet) et contrôle, comme souvent des dires de la victime… “ est ce que c’est vrai ? ”, certaines institutions « d’aide » ayant même établi l’obtention de la « vérité » en dogme. Comme si la validation du statut de victime passait par la validation de leur histoire traumati-que. Je suis victime donc j’existe… Voilà un détournement bien cartésien. Eux qui n’ont jamais eu leur vraie place, les voilà placés une fois encore dans une place particulièrement inconfortable.
Combien de jeunes filles me sont amenées parce qu’elles « ont un comportement provoquant vis-à-vis des hommes, quant on ne va pas comme récemment jusqu’à me les présenter comme des éroto-manes ! puissance du diagnostic !!!!
Raisonner de la sorte peut se résumer à croire que le seul avenir « rose » que ces jeunes filles cher-chent en France c’est de venir se prostituer sur un trottoir de la capitale ! la vraie question à se poser, la seule à réfléchir « en réseau » est plutôt, me semble-t-il : qu’a t il pu se passer dans sa vie pour en arriver là. C’est un peu comme cet « adage » ils viennent manger notre pain… de quel pain s’agit il ? celui qui se ramasse dans les poubelles, les colis du Secours Catholique, des Resto du cœur ? est ce vraiment cela qui a pu les pousser à venir chez nous ? comment accepter de donner cette image si l’on a pas souffert de façon insupportable ?

La thérapie de réseau pour les MIE peut proposer l’ébauche d’un cadre éducatif qui n’ignorerait pas l’histoire traumatique de l’enfant, qui n’essaierait pas de faire l’économie de la compréhension de la souffrance mais qui ne résumerait pas l’histoire à l’événement ou malheureusement aux événements traumatiques à répétition
mettre des frontières à l’agresseur qui sommeille dans ce jeune victime, fait que la partie victime sa-che que l’on ne laisse pas faire l’agresseur. Ceci ébauchant le message que les agresseurs ne sont pas toujours les plus forts. Ceci venant diminuer la puissance de l’identification à l’agresseur.
Il faut pouvoir dire à la victime “ je ne peux pas te laisser agresser les éducateurs mais je peux com-prendre que ce qui s’est passé t’a renvoyé à ce que tu as vécu, mais même si tu te sens très mal en ce moment, je ne peux pas te laisser te comporter comme ça ”. le réseau est très utile dans ce travail compliqué et nécessite en permanence un travail sur soi même ; il devient nécessaire de tout le temps remettre en question ce que l’on ressent.

l’identification à l’agresseur, par exemple devant une insulte de type raciste peut passer pour cet en-fant maltraité et victime de racisme, peut être double : double identification aux deux agresseurs : l’une à l’agresseur raciste “ si je suis mauvais, c’est parce que je suis noir » (par exemple), l’autre à son autre agresseur qui est sa famille maltraitante. Il peut être plus simple de se réugier dans l’identité du mauvais : “ il vaut mieux être mauvais que de ne pas avoir l’identité du bon ”.
Il faut aussi prendre en compte la différence « culturelle » : une famille d’accueil blanche qui est bien-veillante, cette bienveillance même risque de renforcer le biaisage de l’échelle de valeur et peut ame-ner à des idées chez l’adolescent, du type : « ils sont bienveillant et ils sont bons parce qu’ils sont blancs. Mais moi qui suis noir, je suis de cette grande famille des mauvais ». sujet délicat mais qui doit être abordé, car qui peut faire l’économie des expression « voir tout en noir ». la famille d’accueil ou le ou la référente qui exprime cela devant un désarroi par exemple, n’a pas le moindre « racisme » à l’esprit au moment où elle le dit, ni la moindre intention désagréable, mais il y a fort à parier que pour le jeune noir cela soit reçu fort différemment ! comment ne pas comprendre la colère d’un jeune Nigé-rian dont les parents chrétiens, avaient été tués par des musulmans dans un des multiples conflits de ce pays. Son problème était simple, il avait en urgence été placé, dans une famille d’accueil musul-mane, pendant le ramadan, et dans laquelle il était arrivé à midi. Quand il avait dit qu’il avait faim, on lui avait répondu qu’il ne mangerait que le soir. Il n’avait pas défait son sac et … était parti !

La thérapie familiale de réseau pour des mineurs étrangers isolés peut devenir le lieu où les diffi-cultés, les incompréhensions, les contraintes institutionnelles peuvent s’expliquer, se dire, essayer de se comprendre. S’apaiser. Elle demande un effort de tous, mais c’est justement la preuve que tout le monde fait un effort, ou des efforts, dans le but primordial que « cela aille mieux » qui ouvre le champ des possibles pour ces jeunes, garçons ou filles, qui n’ont le plus souvent, jamais vécu d’autres situa-tions qu’arbitraires, qu’abus de pouvoir ou que perte des repères « confiances » et « protection ».
Ceci impose de « tenir bon » mais à ce prix, à l’aune de ces efforts des différents intervenants, se mesurent les progrès et s’ouvre une vie apaisée.

Docteur Pierre Duterte

Psychothérapeute – Thérapeute familial

© Docteur Pierre Duterte Psychothérapeute – Thérapeute familial

Traduction partielle du Code d'Ethique de l'EFTA

Code ÉTHIQUE de l’Association de thérapie familiale européenne

Ce code d’éthique lie chaque membre de l’European Family Therapy Association (EFTA) (l’Association de thérapie familiale européenne)… Il s’applique à la relation de ses membres et leur respect de leurs clients (voir note en bas de ce texte), de leurs étudiants, de leurs superviseurs et de leurs collègues.

Il s’applique également à la responsabilité des membres de l’EFTA vis-à-vis des exigences et impératifs de la profession.

Les standards éthiques de la thérapie familiale exigent un engagement personnel et des efforts durant toute la vie pour avoir une action éthique.

En choisissant d’adhérer et de rester membre de l’EFTA, chaque membre accepte de mener son travail en accord avec les règles du code d’éthique de l’EFTA actuellement en vigueur, et d’accepter toute décision de l’EFTA en accord avec ce code.

Responsabilité vis-à-vis des clients

Le (la) thérapeute met ses compétences au service de ses clients

Les thérapeutes sont conscients de l’influence que peut avoir leur intervention auprès des clients et doivent éviter d’utiliser la confiance donnée par les clients pour un usage personnel.

La relation thérapeutique est confidentielle, qu’elle concerne une personne, un couple ou une famille. Les thérapeutes s’engagent à respecter la confidentialité de leurs entretiens avec les clients.

En cas de danger, ou de risque de danger pour le client ou pour les autres, la confidentialité est assujettie au devoir de soins et aux lois et pratiques en vigueur dans chaque pays.

Les thérapeutes doivent prendre en compte l’intégralité des effets possibles de leur propre santé physique et psychologique sur leur capacité à fournir des soins éthiques.

Toutes les recherches qui impliquent des clients doivent être menées avec la plus grande attention quant aux implications éthiques pour toutes les parties, et doivent faire l’objet de contrôles extérieurs, et quand c’est possible par des comités d’éthique.

Responsabilité vis-à-vis des étudiants et des personnes supervisées

Les superviseurs doivent garder à l’esprit le fait qu’ils peuvent détenir une importante autorité sur leurs étudiants et les personnes supervisées, et doivent conserver le respect de la relation de supervision. La confiance des supervisés et la confidentialité ne peuvent jamais être utilisées par le superviseur d’une quelconque façon que ce soit.

Responsabilité vis-à-vis des collègues

Les thérapeutes doivent essayer de travailler d’une façon fructueuse et efficace avec leurs collègues, dans l’optique du bien être de leurs clients et de leurs étudiants.

Les thérapeutes doivent faire mention des connaissances de leurs collègues dans leurs propres recherches et idées par un crédit et des citations appropriés.

Responsabilité professionnelle

Les thérapeutes doivent essayer d’augmenter les bénéfices et de minorer les effets secondaires. Les situations qui sortent de leur domaine de compétence doivent être adressées à des collègues compétents en la matière.

Les thérapeutes doivent s’efforcer de maintenir leur formation au fait des dernières évolutions et recherche et pratique concernant la thérapie familiale et s’engager dans des formations quand cela est possible.

Violation du Code d’éthique

Au cas où un membre, ou une personne ou une institution, aurait été reconnu responsable, par une autorité comme l’association, de leur pays, de thérapie familiale ou un organisme professionnel ou un tribunal, de s’être rendue coupable d’une infraction grave, le comité d’éthique peut proposer de retirer le statut de membre de l’EFTA.

Le bureau de l’Association de thérapie familiale européenne (EFTA) créera deux comités responsables de l’application du code d’éthique.L’un étant responsable des cas suspectés d’infraction au code d’éthique, alors que l’autre agira en appel.

Le terme « client » se rapporte à la fois aux personnes, couples, familles, équipes, et tout groupe organismes suivis en consultation.

Société Française de Thérapie Familiale